Le rôle du philosophe aujourd'hui
Un article de Caverne des 1001 nuits.
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On attend souvent du philosophe qu'il nous donne des réponses. Mais c'est bien mal connaître la sagesse que de s'attendre à ce que nos questions soient répondues par des réponses définitives. Si le sage répond à des questions par des questions, c'est que les questions auxquelles nous attendons des réponses sont souvent des questions mal posées.
Sommaire |
Introduction
Il est généralement admis que le philosophe se doive de poser des questions et éventuellement de donner des pistes de réponses. Or l'histoire de la philosophie occidentale, au travers de philosophes que l'on qualifie souvent de « systémiques » (parce qu'ils ont bâti des systèmes « complets »), sont à l'image des autres gens :
- ils se posent des questions qui les intéressent ;
- ils inventent des théories pour y répondre.
Par contre, là où le philosophe excède souvent ses prérogatives, c'est dans le fait de considérer que ses réponses à ses propres questions s'appliquent indubitablement à tout le monde[1].
S'interroger sur les questions
Or, il est un fait indéniable quoique peu connu, fait qui est de plus terriblement compliqué à comprendre pour les intellectuels, dont la plupart des philosophes, c'est que « l'homme » au sens général du terme, est un concept ne recouvrant pas grand chose dans la mesure où les hommes sont différents les uns des autres, ne serait-ce que parce que leur psychologie est fondamentalement différente[2].
Ainsi, le premier rôle du philosophe, aujourd'hui comme hier, serait de faire comprendre à chaque personne recherchant des réponses à ses questions qu'elle doit, au préalable, savoir que sa recherche commence par s'interroger sur la validité des questions elles-mêmes. Le philosophe ne doit donc pas a priori donner des réponses aux questions que se posent couramment les personnes, mais induire chez la personne une réflexion sur ses propres questions.
En effet, les questions mal posées supposent toujours quelques principes admis sur lesquels la réflexion aurait dû se concentrer de prime abord. Bien entendu, derrière ces principes, on découvre souvent une foi inébranlable dans un axiome, une morale, etc. La conséquence est donc que nos questions soient les « enfants » de nos certitudes. Malgré son aspect parfois philosophique, la question que nous nous posons est donc entendue par nous-même dans le contexte de ce en quoi nous croyons (le plaisir matériel, l'argent, le pouvoir, etc.).
La question mal posée possède un autre travers : elle appelle une réponse définitive. Prenant pour hypothèse notre cadre personnel dans lequel des notions comme le bien et le mal sont définies et admises quoique non forcément reconnues des autres personnes, les réponses à notre question sont souvent une reformulation des hypothèses initiales[3].
Ne pas répondre aux questions mal posées
Les philosophes des solutions sont friands de ces questions mal posées, non forcément de manière consciente ou manipulatrice, mais de manière inconsciente :
- parce qu'elles engendrent la possibilité de réponses définitives à la suite d'une longue démarche intellectuelle, incluant la possibilité de créations théoriques,
- parce qu'elles valorisent l'ego du philosophe qui, possédant la réponse définitive, recueille des lauriers visibles chez son auditoire ou ses lecteurs,
- parce que l'auditoire ou le lecteur n'est jamais remis en cause personnellement quand il obtient la « réponse tant convoitée ».
Le philosophe des solutions œuvre donc, non dans la sagesse, mais dans le prêt à penser.
Le rôle du philosophe d'aujourd'hui doit donc éviter à tous prix cette logique de consommation des réponses définitives faciles aux aux questions mal posées de son auditoire. Il ne doit en aucun cas entrer dans le cercle de ceux qui cherchent des solutions à des problèmes sans avoir questionné la réalité de la formulation du soit-disant problème.
Ne pas construire de grandes théories
Un autre des rôles du philosophe aujourd'hui est de ne pas bâtir de grandes théories intellectuelles. Car, la capacité à raisonner de chaque être humain (philosophe inclus) est limitée par le fait que, même lorsqu'il a compris que les autres étaient différents de lui, toute théorie intellectuelle est limitée sur l'ensemble des êtres humaines par :
- le fait le philosophe ne puisse connaître a priori bien que sa propre psychologie[4],
- le fait que le philosophe ne puisse que se représenter intellectuellement la psychologie des autres,
- le fait que les diverses psychologies des diverses personnes influent les unes sur les autres selon des mécaniques très complexes,
- le fait que le nombre des humains fasse entrer toute théorie générale dans l'imprédictibilité la plus totale.
La théorie philosophique ayant toujours quelque chose de général, de systémique, le philosophe doit s'abstenir d'en « créer » au risque de croire que sa théorie est valable et qu'elle fonctionne.
Ainsi, on pourra dire qu'un philosophe qui n'a pas écrit de théorie est peut-être sur la voie de la sagesse, dans la mesure où il aurait compris toute l'inanité de la production de théories philosophiques.
Se méfier de son ego
Le philosophe doit enfin se méfier de son ego et de son attachement à ses propres œuvres et à ses propres théories.
L'œil externe
Le rôle du philosophe aujourd'hui comme hier est donc d'être l'œil externe de la société et de questionner nos questions plutôt que nous apporter des réponses à des questions mal posées, questions qui se renouvèlent toujours sous l'illusion des changements du monde.
Selon cette vision du philosophe, une grande partie de la philosophie occidentale ne serait pas de la philosophie et une grande partie des philosophes n'en seraient pas. Il appartient au lecteur d'étudier la question.
Notes
- ↑ C'est ce que l'on appelle de la projection.
- ↑ Cf. les types psychologiques.
- ↑ Cf. La pensée tautologique.
- ↑ Et encore, la psychologie analytique nous montre la difficulté d'une telle hypothèse. A voir aussi A propos de Michel Onfray pour un exemple de non travail psychanalytique sur soi.