La fracture médiatique
Un article de Caverne des 1001 nuits.
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Sans un référentiel de degré supérieur, permettant de juger de la pertinence de la question, l'activité cérébrale est présente mais ''sous contraintes''. Car ''être libre, c'est pouvoir choisir les questions que l'on se pose''. Si les questions sont imposées et qu'il faut se positionner en adhérant ou en refusant, nous ne bénéficions que d'un ersatz de liberté, commode car il occupe notre pensée sans que nous ne soyons occupés à penser à quelque chose d'important, ou à discuter les modalités de la question posée. | Sans un référentiel de degré supérieur, permettant de juger de la pertinence de la question, l'activité cérébrale est présente mais ''sous contraintes''. Car ''être libre, c'est pouvoir choisir les questions que l'on se pose''. Si les questions sont imposées et qu'il faut se positionner en adhérant ou en refusant, nous ne bénéficions que d'un ersatz de liberté, commode car il occupe notre pensée sans que nous ne soyons occupés à penser à quelque chose d'important, ou à discuter les modalités de la question posée. | ||
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- | == Une médiatisation de la société == | ||
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- | === Introduction === | ||
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- | Il est à noter, comme nous avons commencé de l'aborder dans le début de l'article, que certains domaines non soumis à la méthode médiatique il y a seulement quelques décennies, sont abordés par les principaux acteurs selon la méthode médiatique. | ||
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- | Nous nommerons méthode médiatique | ||
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== Notes == | == Notes == |
Version du 16 décembre 2007 à 10:54
Sommaire |
Introduction
Le but de cet article est d'exposer certaines grandes familles de raisonnements défaillants de l'opinion publique, au travers des différents domaines qui sont traités et abordés par les médias et d'une manière générale les intellectuels.
Après une présentation générale de la problématique, nous exposerons les vices de forme logique de certains raisonnements récurrents et expliquerons les conséquences de ces raisonnements.
Un problème de définition
Qu'est-ce que l'opinion publique ?
Beaucoup de gens, au sein de notre société, constatent qu'il est très rare que « l'opinion publique » génère des débats de fond sur la société elle-même.
Or, avant de traiter de ce genre de considérations, il est nécessaire de travailler sur ce que l'on entend par l'opinion publique. Est-ce seulement un concept ayant un sens global, partagé, ou même un sens que l'on puisse définir ? L'opinion publique fait souvent référence au sens large à l'opinion de l'ensemble des médias, d'une manière finalement étrange si l'on met en perspective de cette vision le sens littéral de l'expression : opinion publique.
Le public, n'est-ce pas les consommateurs de médias, mais non les médias qui sont censés parler à la place des personnes ? Pourquoi les médias seraient-ils représentatifs de ce que le peuple pense ? Il est important de noter que les médias ne sont pas élus par les suffrages. Il y a donc un vice de forme très intéressant sur la définition même du concept même d'« opinion publique ».
Médias et légitimité de la représentation
Les médias de facto forgent des représentations de la société. Au sein de ces représentations, dont la pertinence n'est que rarement remise en cause, le média, en tant qu'acteur dans l'opinion publique, se sent légitimé dans la représentation des gens et des choses, cela dans les deux sens de la phrase :
- dans le sens où sa représentation n'a pas à être remise en cause même si elle est fausse, car "l'information" va si vite que personne ne regarde en arrière,
- dans un sens de porte-parole de messages engagés ou moraux, tous très "socialement corrects".
Dans ce deuxième cas, c'est d'un pouvoir d'influence qu'il s'agit, un pouvoir qui ne se fonde sur aucune légitimité démocratique[1], sur aucune représentation légitime des lecteurs ou des spectateurs. Cette représentation est donc souvent au service du bon vouloir de quelques uns. Dès que les médias s'érigent en porte-parole et prennent position, ils deviennent un formidable outil de manipulation des masses.
Lorsque l'on réalise que certains médias donnent le ton dans un pays, et que d'autres les copient, on comprend combien il est facile de manipuler une « opinion publique » avec peu de « relais ».
Manipulations continuelles et influences sur l'inconscient collectif
Des leitmotiv simplistes
Certes, le phénomène n'est pas nouveau et l'histoire du XXème siècle est propice à nous montrer des cas de manipulation généralisée de l'information dans les pays totalitaires. Or, nous ne sommes pas, en France, dans un pays totalitaire. L'information est donc supposée libre. On pourrait argumenter que de nombreux courants de pensée s'expriment dans les divers journaux de France, mais à bien y regarder, si des gens s'expriment pour ou contre une question, le raisonnement le plus attentif consiste à savoir qui a posé la question et dans quels termes. On peut, dès lors, voir que le « débat public » est lui aussi parfaitement encadré.
En effet, le poids des messages moraux présents dans les médias est croissant et ne vient pas de la base. Ce poids "colore" l'inconscient collectif français avec des culpabilités sans fin attribuées aux petites gens et touchant tous les domaines de la vie quotidienne :
- il faut manger sainement (sous-entendu pour réduire le déficit de la sécurité sociale dû au paiement des maladies cardiovasculaires),
- il faut économiser l'énergie,
- il faut sauver la planète, leitmotiv qui revient toutes les quelques années avec un ton différent (trou dans couche d'ozone, tri des déchets, réchauffement climatique, etc.),
- il faut être citoyen et aller voter,
- il faut consommer (sous-entendu notre économie en dépend),
- il faut avoir peur des religions, des terroristes, des maniaques sexuels, des pays religieux, etc.,
- il faut aimer la culture nationale, quelques soient ces manifestations, mais surtout supporter les investissements d'Etat dans ce domaine,
- il faut connaître ses amis (parmi lesquels les Etats-Unis, bien entendu),
- etc.
Contrairement à d'autres époques, on ne martèle plus des messages guerriers ou de haine clairement mais, dans un certain nombre de cas, on les suggère fortement. L'opinion publique est donc un vecteur de diffusion des culpabilités individuelles et des obligations non légales. Elle sert, bien entendu, à juger ceux qui ne se conforment pas aux règles implicites ou ceux qui les remettent en cause.
Nous avons indiqués que nous ne sommes pas dans un pays totalitaire, mais il faudrait donner une véritable définition à ce qu'est un pays totalitaire. Peut-être ce concept est-il aussi, dans son usage courant et non dans son usage historique un concept creux.
La structure du travail journalistique
Il est bien connu, dans certains milieux, que le travail journalistique est propice à ce genre de dérive. La raison en est simple : les journalistes de toute entité possèdent les mêmes caractéristiques :
- ils s'abreuvent aux mêmes sources (le plus souvent les dépêches des agences de presse),
- ils travaillent en parallèle à de nombreux dossiers sans avoir forcément le temps de les aborder dans le fond et de les comprendre,
- ils respectent l'esprit de leur rédaction,
- ils disposent d'un "espace" de traitement des sujets très limité, ce qui ne rend pas facile le travail de fond,
- ils sont noyés par la fréquence de l'information et par son volume,
- ils sont obligés, pour des raisons concurrentielles, de traiter les mêmes sujets que les autres médias et ont donc peu de latitude quant au choix des sujets, car les sujets à traiter peuvent prendre tout l'espace et toute l'énergie au quotidien.
Tout cela favorise la transmission de "poncifs" qui, bien que faux, sont le meilleur compromis pour traiter un volume de travail important en un temps record sans choquer ni la rédaction, ni les consommateurs de médias. Cependant, dès lors que le sujet abordé est connu du lecteur ou du téléspectateur un peu plus en détails, chacun constate à quel point la situation est caricaturale.
Le cas des journalistes spécialisés est parfois différent, parfois car il est nécessaire à cette catégorie de journalistes de lever les contraintes journalistiques que nous avons décrites plus haut.
Certains journaux scientifiques, par exemple, vivent dans les mêmes contraintes que nous venons de lister et sont donc, eux aussi, des vecteurs de poncifs, malgré la spécialisation de leur domaine.
Il en va de même des journaux à tendance philosophique qui épousent souvent maladroitement une actualité vendeuse afin de prétendre éclairer les autres journalistes sur le fond, tandis qu'ils ne font souvent que recycler des lieux communs philosophiques en les accommodant maladroitement aux sujets à la mode.
Il suffit pour cette presse spécialisée de reprendre des numéros vieux de quelques années, pour voir à quel point les messages passés par ces "spécialistes" étaient conjoncturels et très "politiquement corrects". Le politiquement correct change avec les années car il épouse ce qu'il faut penser à un instant t de la vie d'un pays. Ainsi, le travail journalistique est trop souvent soumis à cette dictature (souvent inconsciente) du politiquement correct, même dans les domaines les plus spécialisés.
Un public défiant envers les médias
En ce sens, résister à cette pression psychologique devient de plus en plus difficile, et seule une archéologie de soi[2] peut conduire à tenter de faire la part des choses entre ce qui est acceptable et ce qui ne l'est pas.
De plus, l'homogénéité du discours des médias peut faire prendre des dimensions incroyables à des événements somme toute négligeables. Cette emphase médiatique joue sur les sentiments (et les journalistes sont, dans la plupart des cas, les premières victimes de ces disproportions). Durant un temps, l'opinion publique se concentre sur un événement et détourne l'attention du public des autres choses qui se déroulent dans le monde.
Cela peut être :
- une affaire politique (financement occulte de parti, frégates de Taïwan, etc.),
- un tsunami[3],
- une question de dopage dans le Tour de France,
- etc.
Pendant que les gens se scandalisent sur un sujet, ils ont l'esprit détourné des vrais problèmes. Une fois encore, on voit combien le choix des questions est important[4].
Le « peuple » étant moins bête qu'on ne le suppose, un sondage publié dans le journal Libération en septembre 2004 montrait que près d'un français sur deux juge l'information « assez mal ou très mal traitée ». L'ampleur de la défiance des français envers leurs médias s'affiche dans toute son étendue justifiant le terme de « fracture médiatique ».
Il y a donc, en substance, dans l'opinion publique au sens littéral, une personne sur deux qui doute des messages qu'on lui envoie et une personne sur deux qui n'en doute pas. En noircissant un peu le trait et en abordant une optique un peu ironique, on pourrait conclure qu'une personne sur deux doute et une sur deux est manipulée par le message des médias. Cette vision caricaturale pourrait expliquer que certains messages, en relation avec les lieux communs relayés par les journalistes, perdurent dans notre société, tout en générant simultanément des mouvements de contestation systématique de ces lieux communs par les personnes qui doutent.
La grande machine morale
Un problème de référentiel
Le message des médias est essentiellement un message moral, ce qui implique que le positionnement face à ce message suggère deux attitudes possibles :
- l'adhésion au message,
- le refus du message.
Ce positionnement binaire pour ou contre, très courant dans l'opinion publique française, est très dangereux car les médias obligent les citoyens à se positionner dans leur référentiel de représentation de la société, ce qui est un des traits caractéristiques d'une machine aliénante à caractère moral. Car, bien entendu, l'attaque des lieux communs par des logiques purement inversées (et en usant d'autres lieux communs) est souvent tout aussi problématique car tout aussi simplificatrice.
Le lieu commun possède en effet deux composantes principales :
- la question à laquelle il répond est mal posée : pour attaquer le lieu commun, il faut donc souvent commencer par attaquer la question elle-même qui est sous-jacente au lieu commun ;
- le lieu commun est caricatural : il n'envisage souvent qu'une dimension des problèmes et généralise à partir de cette vue partiale, alors que l'analyse selon plusieurs dimensions du même problème pourrait mener à des conclusions différentes.
C'est dans ces contextes où la question est le problème que l'opinion publique « débat » de manière stérile, cette stérilité étant structurelle à la façon fermée de poser la question elle-même.
Morale versus questionnement
L'homme est un animal (trop) intellectuel, quoique certains puissent laisser croire en s'intéressant notamment à la bêtise[5]. Son intellect a donc besoin d'être nourri, et poser des mauvaises questions nourrit l'intellect.
Or, si l'aliénation est souvent définie comme le fait d'imposer des idées, elle n'est pas toujours entrevue comme le fait d'imposer des questions. Il y a là pourtant une manière plus subtile de manipuler les masses car :
- les masses ont l'impression qu'on leur permet de penser sur un sujet et donc de se positionner pour ou contre librement,
- elles ne réalisent pas toujours que les deux types de positionnement les prévient de penser sur les vrais problèmes ou sur la question elle-même.
L'illusion de la liberté a ceci de pratique que le peuple est manipulé sans qu'il s'en rende compte (ce qui est la base de la manipulation) et tout en nourrissant quotidiennement son intellect sur les questions les plus dispensables et les moins bien formées.
Sans un référentiel de degré supérieur, permettant de juger de la pertinence de la question, l'activité cérébrale est présente mais sous contraintes. Car être libre, c'est pouvoir choisir les questions que l'on se pose. Si les questions sont imposées et qu'il faut se positionner en adhérant ou en refusant, nous ne bénéficions que d'un ersatz de liberté, commode car il occupe notre pensée sans que nous ne soyons occupés à penser à quelque chose d'important, ou à discuter les modalités de la question posée.
Notes
- ↑ C'est bien le travers du journal Le Monde qui est souvent tenté par les abus de pouvoir en termes d'opinion publique, jusqu'au point de jouer des rôles ambigus au sein des campagnes électorales nationales, ou au sein de la représentation des autres pays du monde.
- ↑ Voir L'individuation.
- ↑ Cf. Le tsunami médiatique.
- ↑ Cf. Pourquoi est-il nécessaire de manipuler l'opinion publique ?.
- ↑ Bêtise qui est toujours celle de l'"autre" bien entendu. Cf. Aphorismes XV, de la bêtise.
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