Trente-cinquième nuit
Un article de Caverne des 1001 nuits.
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- | <font size="+4">D</font>inarzade ne fut pas plus tôt éveillée le lendemain qu’elle s’écria : | + | <div align="justify" style="text-indent:0.5cm;"><font size="+4">D</font>inarzade ne fut pas plus tôt éveillée le lendemain qu’elle s’écria : |
- | Ma sœur, si vous ne dormez pas, je vous prie de reprendre le beau conte d’hier. | + | |
+ | Ma sœur, si vous ne dormez pas, je vous prie de reprendre le beau conte d’hier. | ||
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La sultane, se souvenant de l’endroit où elle en était demeurée, parla aussitôt de cette sorte, en adressant la parole au sultan : | La sultane, se souvenant de l’endroit où elle en était demeurée, parla aussitôt de cette sorte, en adressant la parole au sultan : | ||
- | Sire, après que Zobéide eut repris sa place, toute la compagnie garda quelque temps le silence. Enfin Safie, qui était assise sur le siège au milieu de la salle, dit à sa sœur Amine : | + | Sire, après que Zobéide eut repris sa place, toute la compagnie garda quelque temps le silence. Enfin Safie, qui était assise sur le siège au milieu de la salle, dit à sa sœur Amine : |
- | « Ma chère sœur, levez-vous, je vous en conjure ; vous comprenez bien ce que je veux dire. » | + | |
- | Amine se leva et alla dans un autre cabinet que celui d’où les deux chiennes avaient été amenées. Elle en revint tenant un étui garni de satin jaune, relevé d’une riche broderie d’or et de soie verte. Elle s’approcha de Safie et ouvrit l’étui, d’où elle tira un luth, qu’elle lui présenta. Elle le prit, et après avoir mis quelque temps à l’accorder, elle commença de le toucher, et, l’accompagnant de sa voix, elle chanta une chanson sur les tourments de l’absence, avec tant d’agrément, que le calife et tous les autres en furent charmés. Lorsqu’elle eut achevé, comme elle avait chanté avec beaucoup de passion et d’action en même temps : | + | « Ma chère sœur, levez-vous, je vous en conjure ; vous comprenez bien ce que je veux dire. » |
- | « Tenez, ma sœur, dit-elle à l’agréable Amine, je n’en puis plus et la voix me manque ; obligez la compagnie en jouant et en chantant à ma place. | + | |
+ | Amine se leva et alla dans un autre cabinet que celui d’où les deux chiennes avaient été amenées. Elle en revint tenant un étui garni de satin jaune, relevé d’une riche broderie d’or et de soie verte. Elle s’approcha de Safie et ouvrit l’étui, d’où elle tira un luth, qu’elle lui présenta. Elle le prit, et après avoir mis quelque temps à l’accorder, elle commença de le toucher, et, l’accompagnant de sa voix, elle chanta une chanson sur les tourments de l’absence, avec tant d’agrément, que le calife et tous les autres en furent charmés. Lorsqu’elle eut achevé, comme elle avait chanté avec beaucoup de passion et d’action en même temps : | ||
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+ | « Tenez, ma sœur, dit-elle à l’agréable Amine, je n’en puis plus et la voix me manque ; obligez la compagnie en jouant et en chantant à ma place. | ||
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— Très-volontiers », répondit Amine en s’approchant de Safie, qui lui remit le luth entre les mains et lui céda sa place. | — Très-volontiers », répondit Amine en s’approchant de Safie, qui lui remit le luth entre les mains et lui céda sa place. | ||
Amine ayant un peu préludé pour voir si l’instrument était d’accord, joua et chanta presque aussi longtemps sur le même sujet, mais avec tant de véhémence, et elle était si touchée, ou, pour mieux dire, si pénétrée du sens des paroles qu’elle chantait, que ses forces lui manquèrent en achevant. | Amine ayant un peu préludé pour voir si l’instrument était d’accord, joua et chanta presque aussi longtemps sur le même sujet, mais avec tant de véhémence, et elle était si touchée, ou, pour mieux dire, si pénétrée du sens des paroles qu’elle chantait, que ses forces lui manquèrent en achevant. | ||
- | Zobéide voulut lui marquer sa satisfaction : | + | Zobéide voulut lui marquer sa satisfaction : |
- | « Ma sœur, dit-elle, vous avez fait des merveilles ; on voit bien que vous sentez le mal que vous exprimez si vivement. » | + | |
- | Amine n’eut pas le temps de répondre à cette honnêteté. Elle se sentit le cœur si pressé en ce moment, qu’elle ne songea qu’à se donner de l’air en laissant voir à toute la compagnie sa gorge et un sein, non pas blanc tel qu’une dame comme Amine devait l’avoir, mais tout meurtri de cicatrices ; ce qui fit une espèce d’horreur aux spectateurs. Néanmoins cela ne lui donna pas de soulagement et ne l’empêcha pas de s’évanouir... | + | « Ma sœur, dit-elle, vous avez fait des merveilles ; on voit bien que vous sentez le mal que vous exprimez si vivement. » |
- | Mais, sire, dit Scheherazade, je ne m’aperçois pas que voilà le jour. | + | |
+ | Amine n’eut pas le temps de répondre à cette honnêteté. Elle se sentit le cœur si pressé en ce moment, qu’elle ne songea qu’à se donner de l’air en laissant voir à toute la compagnie sa gorge et un sein, non pas blanc tel qu’une dame comme Amine devait l’avoir, mais tout meurtri de cicatrices ; ce qui fit une espèce d’horreur aux spectateurs. Néanmoins cela ne lui donna pas de soulagement et ne l’empêcha pas de s’évanouir... | ||
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+ | Mais, sire, dit Scheherazade, je ne m’aperçois pas que voilà le jour. | ||
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À ces mots, elle cessa de parler, et le sultan se leva. Quand ce prince n’aurait pas résolu de différer la mort de la sultane, il n’aurait pu encore se résoudre à lui ôter la vie. Sa curiosité était trop intéressée à entendre jusqu’à la fin un conte rempli d’événements si peu attendus. | À ces mots, elle cessa de parler, et le sultan se leva. Quand ce prince n’aurait pas résolu de différer la mort de la sultane, il n’aurait pu encore se résoudre à lui ôter la vie. Sa curiosité était trop intéressée à entendre jusqu’à la fin un conte rempli d’événements si peu attendus. | ||
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Ma sœur, si vous ne dormez pas, je vous prie de reprendre le beau conte d’hier.
La sultane, se souvenant de l’endroit où elle en était demeurée, parla aussitôt de cette sorte, en adressant la parole au sultan :
Sire, après que Zobéide eut repris sa place, toute la compagnie garda quelque temps le silence. Enfin Safie, qui était assise sur le siège au milieu de la salle, dit à sa sœur Amine :
« Ma chère sœur, levez-vous, je vous en conjure ; vous comprenez bien ce que je veux dire. »
Amine se leva et alla dans un autre cabinet que celui d’où les deux chiennes avaient été amenées. Elle en revint tenant un étui garni de satin jaune, relevé d’une riche broderie d’or et de soie verte. Elle s’approcha de Safie et ouvrit l’étui, d’où elle tira un luth, qu’elle lui présenta. Elle le prit, et après avoir mis quelque temps à l’accorder, elle commença de le toucher, et, l’accompagnant de sa voix, elle chanta une chanson sur les tourments de l’absence, avec tant d’agrément, que le calife et tous les autres en furent charmés. Lorsqu’elle eut achevé, comme elle avait chanté avec beaucoup de passion et d’action en même temps :
« Tenez, ma sœur, dit-elle à l’agréable Amine, je n’en puis plus et la voix me manque ; obligez la compagnie en jouant et en chantant à ma place.
— Très-volontiers », répondit Amine en s’approchant de Safie, qui lui remit le luth entre les mains et lui céda sa place.
Amine ayant un peu préludé pour voir si l’instrument était d’accord, joua et chanta presque aussi longtemps sur le même sujet, mais avec tant de véhémence, et elle était si touchée, ou, pour mieux dire, si pénétrée du sens des paroles qu’elle chantait, que ses forces lui manquèrent en achevant.
Zobéide voulut lui marquer sa satisfaction :
« Ma sœur, dit-elle, vous avez fait des merveilles ; on voit bien que vous sentez le mal que vous exprimez si vivement. »
Amine n’eut pas le temps de répondre à cette honnêteté. Elle se sentit le cœur si pressé en ce moment, qu’elle ne songea qu’à se donner de l’air en laissant voir à toute la compagnie sa gorge et un sein, non pas blanc tel qu’une dame comme Amine devait l’avoir, mais tout meurtri de cicatrices ; ce qui fit une espèce d’horreur aux spectateurs. Néanmoins cela ne lui donna pas de soulagement et ne l’empêcha pas de s’évanouir...
Mais, sire, dit Scheherazade, je ne m’aperçois pas que voilà le jour.
À ces mots, elle cessa de parler, et le sultan se leva. Quand ce prince n’aurait pas résolu de différer la mort de la sultane, il n’aurait pu encore se résoudre à lui ôter la vie. Sa curiosité était trop intéressée à entendre jusqu’à la fin un conte rempli d’événements si peu attendus.
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