Cinquantième nuit
Un article de Caverne des 1001 nuits.
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Ma sœur, si vous ne dormez pas, racontez-nous, de grâce, comment la Dame de beauté remit le second calender dans son premier état.
— Vous, allez le savoir, répondit Scheherazade. Le calender reprit ainsi son discours :
« La princesse Dame de beauté alla dans son appartement, d’où elle apporta un couteau qui avait des mots hébreux gravés sur la lame. Elle nous fit descendre ensuite, le sultan, le chef des eunuques, le petit esclave et moi, dans une cour secrète du palais, et là, nous laissant sous une galerie qui régnait autour, elle s’avança au milieu de la cour, où elle décrivit un grand cercle, et y traça plusieurs mots en caractères arabes anciens et autres qu’on appelle caractères de Cléopâtre.
« Lorsqu’elle eut achevé et préparé le cercle de la manière qu’elle le souhaitait, elle se plaça et s’arrêta au milieu, où elle fit des adjurations, et elle récita des versets de l’Alcoran. Insensiblement l’air s’obscurcit de sorte qu’il semblait qu’il fût nuit et que la machine du monde allait se dissoudre. Nous nous sentîmes saisir d’une frayeur extrême, et cette frayeur augmenta encore quand nous vîmes tout à coup paraître le génie, fils de la fille d’Eblis, sous la forme d’un lion d’une grandeur épouvantable.
« Dès que la princesse aperçut ce monstre, elle lui dit :
« Chien, au lieu de ramper devant moi, tu oses te présenter sous celle horrible forme et tu crois m’épouvanter !
— Et toi, reprit le lion, tu ne crains pas de contrevenir au traité que nous avons fait et confirmé par un serment solennel, de ne nous nuire ni faire aucun tort l’un à l’autre !
— Ah ! maudit, répliqua la princesse, c’est à toi que j’ai ce reproche à faire.
— Tu vas, interrompit brusquement le lion, être payée de la peine que tu m’as donnée de revenir. »
En disant cela, il ouvrit une gueule effroyable et s’avança sur elle pour la dévorer ; mais elle, qui était sur ses gardes, fit un saut en arrière, eut le temps de s’arracher un cheveu, et en prononçant deux ou trois paroles, elle se changea en un glaive tranchant, dont elle coupa le lion en deux par le milieu du corps.
« Les deux parties du lion disparurent, et il ne resta que la tête, qui se changea en un gros scorpion. Aussitôt la princesse se changea en serpent et livra un rude combat au scorpion, qui, n’ayant pas l’avantage, prit à forme d’un aigle et s’envola. Mais le serpent prit alors celle d’un aigle noir plus puissant, et le poursuivit. Nous les perdîmes de vue l’un et l’autre.
« Quelque temps après qu’ils eurent disparu, la terre s’entr’ouvrit devant nous, et il en sortit un chat noir et blanc, dont le poil était tout hérissé, et qui miaulait d’une manière effrayante. Un loup noir le suivit de près et ne lui donna aucun relâche. Le chat, trop pressé, se changea en ver et se trouva près d’une grenade tombée par hasard d’un grenadier qui était planté sur le bord d’un canal d’eau assez profond, mais peu large. Ce ver perça la grenade en un instant, et s’y cacha. La grenade alors s’enfla, devint grosse comme une citrouille, et s’éleva sur le toit de la galerie, d’où, après avoir fait quelques tours en roulant, elle tomba dans la cour et se rompit en plusieurs morceaux.
« Le loup, qui pendant ce temps-là s’était transformé en coq, se jeta sur les grains de la grenade et se mit à les avaler l’un après l’autre. Lorsqu’il n’en vit plus, il vint à nous les ailes étendues, en faisant un grand bruit, comme pour nous demander s’il n’y avait plus de grains. Il en restait un sur le bord du canal, dont il s’aperçut en se retournant. Il y courut vite ; mais dans le moment qu’il allait porter le bec dessus, le grain roula dans le canal et se changea en petit poisson... »
Mais voilà le jour, sire, dit Scheherazade ; s’il n’eût pas si tôt paru, je suis persuadée que votre majesté aurait pris beaucoup de plaisir à entendre ce que je lui aurais raconté.
À ces mots, elle se tut, et le sultan se leva rempli de tous ces événements inouïs, qui lui inspirèrent une forte envie et une extrême impatience d’apprendre le reste de cette histoire.
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