Histoire XXV

Un article de Caverne des 1001 nuits.

(Différences entre les versions)
Version du 17 avril 2008 à 16:28 (modifier)
1001nuits (Discuter | Contributions)
(publish)
← Différence précédente
Version actuelle (17 avril 2008 à 16:28) (modifier) (défaire)
1001nuits (Discuter | Contributions)
(publish)
 

Version actuelle

Comme tous les samedis soirs, il était parti pour le centre avec quelques amis : des gens avec qui passer la soirée, rien de plus. La voiture se gara aux abords de la grand-place. Etant donné sa proximité relative de la demeure familiale, encore et toujours sa demeure jusqu'à ce que le destin ou son courage en ait décidé autrement, il remarqua une autre fois que rentrer à pieds était dans le champ du possible si l'ennui le terrassait. Une autre voiture arriva à l'heure convenue que quelques minutes avaient alourdie. Tout le monde était là ? Oui. Il se sentait bien ce soir. Ses réflexions cyniques piquaient juste et il dégainait plus vite que de coutume. Ses histoires drôles et sa manière de conter un peu précieuse divertissaient. Une sorte d'aura voletait à la limite de sa peau, si bien que son hyperperception semblait contaminer doucement chaque objet ou personne en orbite autour de lui. De son style calculé, il alluma une cigarette, savourant cet état second qui faisait que rien ne lui échappait : odeur, voix, mots, trottoirs, maisons, rues, sièges, air.

A destination, on but quelques verres, échangea quelques propos ternes pendant un moment. Il fallait attendre que l'alcool se répandît dans les veines afin que les langues se délient. Il buvait peu, regardait les autres se transformer en démons chargés de brumes devant les yeux et de troubles du vocable. Mais il était trop prudent pour ne s'arrêter qu'au sain flottement, et trop fier pour se voir choir dans la spirale des verres enchaînés. Observant l'assemblée, il jetait parfois un regard à son image dans un miroir qui, d'une étrange façon, multipliait les êtres et non le mobilier.

L'heure avançait. On décida d'aller danser. Hésita sur le lieu. On partit dans les rues obscures malgré les éclairages de bars rechignant à fermer. La porte close résonnait de bruits de basse. On causait de musique, appréciait, s'interrogeait. Lui ne pensait rien. La musique faisait partie du lieu au même titre que les meubles. On entra, encadré de géants à la carrure impressionnante.

Le moment venu, après quelques verres de plus, on dansa. Dans la chaleur moite et la sueur des autres. Il remarqua une charmante jeune femme qui se désarticulait le cou afin de retrouver au dessus de la mer de crânes chevelus une tête qu'elle connaissait. Il commanda deux verres et s'assit à côté d'elle. Il articula quelque chose qui pouvait dire : «vous cherchez quelqu'un ?» La musique couvrit la moitié de ses propos ainsi que la quasi-totalité de la réponse que la jeune femme articula soupçonneuse. Il lui tendit le verre qu'elle réalisa lui être destiné. Elle le prit. Son aura la séduisit malgré elle. Elle le regarda dans ses yeux brillants bien qu'inexpressifs. Il crut saisir qu'elle cherchait son ami(e). Il demanda si ami(e) prenait ou non un e. A son visage, il sut que la chance le regardait de son sourire glacé. Elle l'estimait. Il l'invita à danser. Un rythme lent vint miraculeusement les rapprocher. Il ne se dirent que peu de mots. Tout était clair. Il prit sa taille pendant qu'elle se collait contre lui. Le bien-être les submergea ; une sorte de sentiment qui fait de vous des isolés, insensibles au monde. La soirée toucha vite à sa fin. Ses amis s'éclipsèrent discrètement d'un geste de la main. Ils partirent à leur tour dans les rues désertes qu'éclairaient des lampadaires désabusés.

Elle habitait là. Au détour d'une rue. Il avait réfléchi pendant leur silencieux voyage à cette amie qui n'était pas reparue. Ils montèrent quelques marches, usées par les ans, par la répétition des pieds frottant contre le bois au point que celui-ci perdît le souvenir de sa forme initiale.

Elle ferma la porte, lui dit de s'installer, de faire comme chez lui. Elle lui enseigna le bar avant de s'excuser de disparaître dans la salle d'eau. Lui fit le tour des pièces, inquisiteur de ce monde de femme. Il se dirigea vers la boîte à musique et contempla les disques. Il félicita intérieurement la maîtresse de maison pour ses goûts musicaux raffinés. Il choisit avec attention un disque qu'il posa sur la platine avant de régler le volume doucement en raison de l'heure tardive. Il sélectionna une option pour que la machine joue le disque en continu, puis il se dirigea vers le bar. La lumière douce lui donna un reflet cuivré de la substance garnissant la bouteille de whisky et le verre condamné à ne pas être terminé. Peu après qu'il ait prévu qu'elle sortît, elle apparut vêtue d'un peignoir transparent qui laissait deviner une lingerie élégante. Elle fit comme si rien n'était, venant le rejoindre près du bar. Ils échangèrent des paroles légères, indispensables à ce qui allait suivre. Il l'embrassa avec fougue, bien décidé à se laisser aller. Ils ne tardèrent pas à toucher le velours du canapé.

La nuit dura longtemps, l'assaut devant être reproduit plusieurs fois pour le bonheur des assaillants comme des défenseurs. Puis le sommeil la frappa alors qu'il commençait de réaliser que le disque n'avait cessé de tourner depuis des heures. Une lumière se faufilait prudemment au travers du volet.

Il se leva, s'habilla. Peut-être ne dormait-elle pas. C'était la règle du jeu. Il l'avait su de suite. Il l'embrassa sur le front et ferma la porte délicatement après lui. Il descendit les escaliers froids et lisses en expulsant un nuage à chaque respiration. Arrivé dans la rue, le froid le mordit davantage. Il redressa son col de veste, tourna la tête à gauche puis à droite, s'alluma une cigarette. Puis il partit dans la solitude des rues froides en pensant à l'exquise nuit blanche qui lui avait creusé de grandes cernes noires.



Navigation
Précédent - Suivant