Sociologie et inconscient collectif
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[modifier] La prédominance d'une représentation sociale non scientifique
La sociologie est rentrée dans les mœurs de nos civilisations occidentales. En un sens, le vieux rêve des pères fondateurs de la sociologie parmi lesquels Durkheim s'est réalisé. Pourtant, si le sociologue semble souvent investi d'un certain pouvoir ou d'une caution, le discours sociologique a deux aspects : le premier est une tendance au discours scientifique sans pour autant évoluer dans un cadre formel qui légitime cette démarche en tant que scientifique ; le second est le discours sociologisant qui est un genre de vulgarisation du discours sociologique propice à l'introduction de messages manipulateurs et de conjectures non démontrables.
La sociologie a cette étrange position dans les sciences sociales d'une discipline qui n'est pas une vraie science, qui s'en donne parfois les atours, et qui offre une face publique reconnue de manière si globale que la plupart d'entre nous sommes amenés à utiliser un grand nombre des idées sociologiques afin de nous construire notre représentation de la société. Cela conduit naturellement un grand nombre de personnes à donner ses propres opinions sur la société en s'investissant sociologue[1].
La représentation collective de la société est donc, aujourd'hui, très emprunte de la représentation que nous donne la sociologie de notre société, cela quelque soit les courants politiques ou médiatiques concernés. Or, la sociologie s'exerce souvent de manière interne à la société qu'elle étudie, les sociologues étant des membres de cette société. Nous n'avons donc au sein de notre représentation collective qu'une vision interne de nos problèmes, la vision des sociétés externes étant souvent filtrée ou instrumentalisée à des fins politiques.
[modifier] L'homogénéité morale de la représentation sociale
Quoique beaucoup puissent en douter, je tiens à insister sur la remarquable homogénéité de la représentation sociale dont l'un des aspects est médiatique[2] et l'autre est sociologique (ou sociologisant dans le pire des cas). Malgré les buts et les méthodes différents de ces deux entités, principaux fournisseurs de représentations sociales, la représentation sociale est très homogène.
Ce fait doit être remis dans un contexte de diversité où tous, à commencer par les politiques, devraient défendre des représentations différentes. Or, il n'en est rien, les politiques proposant des solutions différentes à des problèmes exhibés de la représentation sociale commune.
Cette représentation sociale un peu trop unanimement partagée porte en elle des règles morales très fortes. Tout le monde en France ou aux Etats-Unis sait ce qui est bien ou mal, et détermine de façon tout à fait précise les limites sociales de ce concept.
Il est par exemple un peu navrant de constater que le rôle des parents dans les troubles psychologiques des enfants est encore très tabou au point de nier le problème à l'échelle sociale, au son de «la société doit assumer». Il ne semble pas possible de mettre l'électeur parent au centre du questionnement d'un malaise de son enfant, d'y voir en lui un acteur. Quelque part, attaquer le parent est immoral, même si ce dernier détruit, par ses agissements et ses représentations, la psychologie d'un enfant en construction.
La représentation sociale par ailleurs véhicule des images archétypales auxquelles les gens adhèrent allant jusqu'à y puiser les fondements de la personnalité qu'ils veulent se donner[3] ou ne voir qu'une partie d'un problème complexe.
[modifier] Sociologie et structuration de l'inconscient collectif
Pour une science qui n'en est pas vraiment une, il y a là un tour de force incroyable : être partout présente dans les esprits de tous, influer sur les comportements et sur les représentations, apporter une morale toute faite. La sociologie semble se positionner au même niveau structurel que l'inconscient collectif de Jung. On pourrait même poser la question de manière plus brutale et plus polémique :
Car tout concorde :
- l'objet sur lequel porte la sociologie est très difficile à définir car polymorphe et complexe, très lié à la psychologie de l'individu, tout comme l'inconscient collectif ;
- la sociologie travaille sur le plus grand dénominateur commun moral et étudie les phénomènes marginaux au regard de la morale, tout comme l'inconscient collectif ;
- la sociologie intervient dans toutes nos représentations de la société et de nous-mêmes et tous nos raisonnements sur la société, cela à notre insu, tout comme l'inconscient collectif ;
- ses buts sont souvent de faciliter l'optimum de vie en société, tout comme l'inconscient collectif qui équilibre l'énergie psychique de façon à ce que nous soyons bien avec nous-mêmes ;
- le fait que les architectes de cette discipline soient au sein même de l'objet étudié, tout comme l'inconscient collectif qui est vu par nous en surface de l'intérieur de nous-mêmes,
- elle est trop hétéroclite et complexe pour être saisie dans son ensemble comme une chose cohérente, comme l'inconscient collectif,
- elle présente des sociétés extérieures comme des démons qui font peur car elle ne peut pas les comprendre ; tout comme l'inconscient collectif, elle instrumente la peur.
La sociologie, à son insu le plus strict, serait devenue une description chaotique et non structurée, non scientifique de l'inconscient collectif de la société dans laquelle nous visions. Elle voulait être conscience de la société, la voilà transformée dans sa myriade de sous domaines en générateur d'inconscient collectif social.
On pourrait donc se poser la question d'avant : qu'y avait-il avant (où Jung décrit l'inconscient collectif comme existant aussi quoique sa nature ait été différente) ? Il y avait l'inconscient collectif religieux et moral qui de la même façon avait construit une représentation et une possibilité d'induction de la pensée au travers de principes moraux, qui structuraient la pensée et la part collective de l'inconscient de chacun.
Formellement donc, en suivant cette hypothèse, rien n'a changé et l'on pourrait se demande si la sociologie en tant que science interventionniste et moraliste n'a pas la structure d'un organisme religieux, ayant pour but de rendre l'homme meilleur. Assez de sciences peuvent la rendre crédible, mais trop lui ôterait une grande partie de son pouvoir et de son aura. Qui ne ferait pas confiance à un sociologue de nos jours : il sait, lui. N'aurions-nous pas dit la même chose des religieux il y a quelques siècles.
[modifier] La peur du monde
Tout ce qui serait extérieur à la représentation sociologique normée serait donc suspect. Car, même si la sociologie exhibe des dysfonctionnements sur notre territoire et compare avec ce qui se passe ailleurs, le fruit de la comparaison dépend du but avoué ou inavoué de son auteur :
- donner des leçons pour faire changer la société telle qu'elle est (et souvent pour le bien de tous, ce qui peut être le démarrage d'une aliénation de grande ampleur) ;
- conclure au fait que des traditions sont différentes entre les deux pays comparés et que c'est comme ça ici parce que ça devait être comme ça (simple usage du bon sens le plus souvent), ce qui signifie quelque part que chez nous, ça n'est pas si mal,
- extrapoler pour lancer de grands messages politiques.
Car l'extérieur à notre inconscient collectif nous fait peur et quelque part nous compensons cette peur par, en France, une culpabilité outrée et structurelle quant à tous les problèmes du monde. Mais pourquoi cette différence nous fait-elle peur ? Parce qu'à l'échelle du monde, nous n'avons plus de sociologie, plus de représentation du monde commune, c'est le vide absolu. Le concept est si [Le concept creux|creux] qu'on ne voit que des hommes dans les états les plus variés et les plus divers au point que tout raisonnement global apparaît comme grotesque. Nous nous apercevons avec horreur qu'un chinois ne pense pas le monde comme nous, qu'il n'est pas dans notre représentation du monde. Cette dernière est d'ailleurs composée de la représentation de notre pays et une représentation déformée ou absente des autres pays par comparaison avec ce que nous croyons savoir sur le nôtre. Cette peur du vide est naturelle : nous avons peur de ne plus rien comprendre, de ne plus pouvoir juger.
Ceci peut expliquer pourquoi l'économie mondiale est diabolisée par les altermondialistes : parce qu'à ce niveau de représentation du monde, plus aucun inconscient collectif ne tient, plus rien n'est commun entre un indien en train de voir l'Inde et un Français en train de voir la France, ne parlons pas de l'Indien en train de voir la France et du Français en train de voir l'Inde. N'ayant plus d'inconscient collectif commun, n'ayant plus de représentation du monde commune que l'OMC, le FMI, les Nations Unies et autres organismes internationaux, les altermondialistes veulent combler le vide et construire cette représentation globale du monde. Mais ceci est un putsch qui n'a formellement pas de sens au regard des inconscients collectifs des diverses pays. Pourtant, ils ne veulent qu'imposer aux autres leur représentation du monde avec un ennemi commun : l'économie de marché. Il y a donc dans cette démarche une volonté totalitaire claire, qui peut, au travers du monde, convaincre ceux qui n'ont pas subi ou pas hérité cet inconscient collectif et/ou qui s'en cherchent un de remplacement.
[modifier] Conclusion
Pour en revenir à la sociologie, cette discipline est peut-être condamnée à la base à ne jamais pouvoir exister véritablement, à cause du problème formel que pose l'auto-analyse en psychanalyse. En m'auto-analysant, il y a forcément des moments où je vais passer à côté d'une blessure inconsciente qu'il m'aurait fallu dévoiler. Une personne externe est nécessaire pour sortir de ces ornières par rapport à soi.
Il en va de même en sociologie : en voulant être la conscience d'une société complexe, elle a absorbé l'inconscient collectif, puis elle est devenue elle-même l'instrument de transmission de cet inconscient collectif au sein de la société. Difficile à dire si les problèmes de définition de cette discipline des sciences humaines se résoudront à moyen terme.
[modifier] Notes
- ↑ Cf. Le défi des sciences humaines.
- ↑ Cf. La fracture médiatique.
- ↑ Cf. L'archétype de l'intellectuel français.