A propos de Michel Onfray
Un article de Caverne des 1001 nuits.
1001nuits (Discuter | Contributions)
(Nouvelle page : Qu'est-ce que la philosophie ? Comment l'enseigner ? Michel Onfray, avec son université populaire, entend répondre à un « besoin de sens » qu'il ressent chez ses participants (p...)
Différence suivante →
Version du 6 août 2007 à 18:31
Qu'est-ce que la philosophie ? Comment l'enseigner ? Michel Onfray, avec son université populaire, entend répondre à un « besoin de sens » qu'il ressent chez ses participants (plus de six cents à chacune de ses conférences, retransmises tous les étés sur une radio publique). Cet article a pour but d'analyser quelques uns des discours de Michel Onfray, philosophe qui, si son intelligence est incontestable, véhicule un certain nombre d'idéologies haineuses. Drapé derrière une démarche classique, celle du philosophe de l'agora, accommodé au parfum rebelle si tendance dans nos sociétés insatisfaites, les messages de Michel Onfray sont un remarquable outil de pouvoir et de manipulation, bien plus voisins des poncifs de la société française que ce dernier ne veut bien l'admettre.
Sommaire |
Petit historique de Michel Onfray
Onfray a subi une formation de professeur de philosophie. Il y constata que le monde de la philosophie française, notamment au travers des institutions publiques (lycée, faculté, recherche) était un monde consanguin dans lequel des gens autorisés s'autorisaient à penser sur des thèmes philosophiques, tout en pratiquant une ségrégation systématique avec ceux qui n'était pas de leur monde.
Il y a malheureusement peu de choses à dire quant à ce constat, à part le fait qu'il soit un peu caricatural (d'autres articles du même site reviennent à ce problème crucial[1].</ref></ref>). Onfray, à la suite de son passage dans le parcours dit normal, rejeta tout en bloc, gardant avec lui l'image un peu naïve qu'une autre façon de faire de la philosophie, qu'une philosophie collaborative à la sauce grecque inspirée des philosophes de l'agora, était possible. Il démissionna de l'Education Nationale et créa, avec certain de ses amis, la fameuse «université populaire de Caen»[2]</ref> qui à la fois semble défrayer la chronique dans l'establishment français de la philosophie (et peut-être d'ailleurs dans ce microcosme-là uniquement) et compte parmi les endroits à la mode du moment, où il est bon, s'il on a des ambitions de publication ou de paraître, d'aller et de se montrer, afin de pouvoir dire, dans quelques années : «j'y étais».
Comme je l'expliquais dans mon article sur le [3], le problème de la formation philosophique actuel réside moins dans les hommes qui l'enseignent - et qui probablement cherchent à garder quelque mainmise sur leur domaine, phénomène très courant en sciences et pas seulement en sciences humaines - que dans une séparation complète des compétences scientifiques et littéraires qui conduisent une frange limitée et homogène des étudiants à choisir cette voie.
Le problème est donc que, pour penser le monde, les apprentis philosophes n'en ont souvent pas les moyens : pas assez d'enseignements de la logique pour parvenir à décrypter la manipulation ou les belles phrases ou pour pouvoir construire des raisonnements argumentés sans conjecture, pas assez de cours de mathématiques, de physique et de biologie pour comprendre la science qui les entoure et qui tisse notre quotidien (Onfray dirait «notre modernité»), pas assez de cours d'économie pour pouvoir réfléchir sur le monde économique, pas assez de cours d'histoire de l'art pour comprendre les mouvements artistiques et des notions très contestables de l'histoire de la pensée, voire de l'histoire tout court. L'apprenti philosophe est devenu une sorte de philosophe de café-philo, capable de parler de tout sans réellement connaître quelque chose à la vie ou au monde qui l'entoure, de sortir ses certitudes sans pouvoir construire d'argumentaire, en un mot comme en cent : il est capable d'ergoter.
Michel Onfray a malheureusement subi cet enseignement et, qu'il le veuille ou non, il peut apparaître comme un pur produit de ce dernier, n'ayant pas remis en cause en lui un héritage lourd à porter.
La manière dont la psychanalyse est enseignée en cours de philosophie est d'ailleurs tout à fait symbolique de ce décalage entre les mots et soi, car la psychanalyse est trop souvent encore utilisée par les apprentis philosophes comme une caution, comme un moyen de lire des choses cachées dans la conscience des autres, mais en aucun cas de se remettre en question et de lire des choses cachées en soi-même. D'une manière générale, l'establishment de la philosophie française use de cette caution comme d'un argument de pouvoir (ce qui n'est pas le cas de l'ensemble du monde de la psychanalyse, voir [4]) et donc de protection, usant de cette technique de manière asymétrique vers le monde, comme argument préscientifique de poids[5]</ref>.
Cette démarche est d'ailleurs parfaitement identique entre Michel Onfray et le milieu de la philosophie dont il est issu : on parle psychanalyse mais on est loin d'avoir un jour tenté de faire la sienne.
Onfray, the preacher
Michel Onfray a donc créé, il y a quelques années, son université populaire avec pour but de faire revivre les questions existentielles[6].</ref></ref> dans la perspective nietzschéenne[7].</ref></ref> du gai savoir mais avec les formes de la philosophie de l'agora.
Dans la construction de cette université, de cette «école», on peut analyser l'acte de sécession fait par Michel Onfray comme un acte adolescent[8].</ref></ref>, un acte de rupture usant d'une symbolique à la fois révolutionnaire - lutte contre le système - et réactionnaire - retour à des vraies valeurs comme celles de la tradition grecque[9]</ref>. Onfray professe dans cette université «pour assouvir le besoin de sens» (sic) de ceux qui y viennent.
Pour un révolté contre le système de professorat classique, la démarche est déjà étonnante. Que ce dernier se soit contenté d'écrire des livres aurait eu une certaine cohérence, celle de refuser l'enseignement en tant que tel de la philosophie et de poser la question de la possibilité même d'un tel enseignement. Mais le positionnement de Michel Onfray est plus pernicieux, car il prétend faire mieux que l'enseignement classique tout en faisant en quelque sorte contre l'enseignement classique. Loin de moi l'idée cependant de défendre un enseignement classique qui a ses défauts mais seulement de noter la démarche quelque peu mégalomaniaque résultant de l'opposition de type adolescente.
De plus, dans les formes que prennent cet enseignement alternatif (pas de contrôle, par de lois, etc.), on pourra se poser la question de la différence que cet enseignement comporte dans toutes ses ramifications (y compris les émissions radiodiffusées sur une radio publique) avec le discours religieux d'un prêche. L'orateur se positionne en donneurs de leçons, en tant que celui qui apporte du sens, prêchant ses ouailles et leur permettant à la fin de réagir sur le canevas que lui a tissé. Le cours doctoral est transformé en cours doctoral avec débat, mais avec le sous-entendu supplémentaire que le conférencier Onfray fait mieux que ses collègues, qu'il apporte plus de sens, qu'il comble un vide, qu'il répond à un public. La démarche est donc loin d'être neutre car elle est à la fois une reproduction du modèle classique avec une légitimité auto proclamée beaucoup plus revendicative qui est d'apporter des solutions, de combler le vide de sens.
Une fois encore, nous pouvons nous interroger sur la dérive du modèle classique, sur le manque de recul de l'interprétation des textes exposés pendant les cours ou au contraire sur leur [10] totale. Il y a là tous les ingrédients pour manipuler, car le travail d'Onfray, en voulant combler le vide, se place sur le plan des solutions et non des problèmes. Il y a donc une démarche comparable à une doctrine religieuse ou politique : venez me voir et vous saurez comment être heureux en pensant. Le jeu sur le bonheur de penser est typiquement du ressort des grands mécanismes des sectes.
Bien entendu, Onfray se défend de cette interprétation en l'anticipant, en se plaçant à l'extérieur de la démarche à la fois politique (mais son université se nomme comme la Chine, «populaire») et religieuse (mais il y prêche et apport de solutions).
Quand on a fréquenté les cafés-philo, on voit ce que peut être le niveau de débat dit philosophique sur n'importe quel thème : un déballage d'idées reçues parfaitement contingent, une impossibilité de tenir des raisonnements basés sur des idées complexes en raison d'une lecture projective des arguments et des concepts[11].</ref></ref>. Le débat final des cours de Michel Onfray sert donc de caution pour que tout le monde en ait pour son argent (au sens figuré car l'université est gratuite), que le public soit satisfait, qu'il ait l'impression d'avoir pu user de sa parole.
Car, nous pourrions parler de la relation à l'argent que condamne Onfray au travers de «ceux qui surfent sur la vague philosophique» (sic). Nous sommes ici en présence d'une projection tout ce qu'il y a de plus banale car Onfray condamne ceux qui surfent sur la vague philosophique alors qu'il est un champion du surf sur la vague philosophique, et que ses livres sont, à leur manière, des petits best-sellers.
Un mouvement sectaire ?
La structure du mouvement sectaire est souvent basée sur une attaque comme mouvement sectaire de ce qui contrarie les libertés du mouvement. Pour une secte, c'est la société qui est sectaire de ne pas accepter son existence. Michel Onfray, c'est à la fois une prêche régulière et des lectures projectives, mais aussi une machine financière, c'est à la fois un discours contre l'establishment social de la philosophie à quoi s'ajoute une sympathie pour quelques courants alter, et une volonté de donner des solution dans le penser libre et heureux ; en conclusion, ça ressemble beaucoup à un mouvement sectaire dont il serait le gourou.
La structure sectaire tente d'utiliser les médias pour la glorification de son gourou et c'est ce qu'Onfray fait à l'aide de son université ainsi que l'aide des médias publics. Il s'est construit l'image d'un gourou isolé, en dehors du brouhaha parisien et du système, mais il reste très sensible à ce qu'on parle de lui, très sensible aux prêches, et très sensible au fait d'attirer quantité de gens à chacune de ses messes.
Il est d'ailleurs tout à fait significatif que ce dernier indique que son succès est «suspect» (sic). Premièrement il évoque ce succès comme un gage de qualité, mais on pourrait lui rétorquer que nombre de talk-show attirent les foules. Deuxièmement, on voudrait demander mais vis-à-vis de qui ce succès est-il gênant ? Des «autorités» peut-être ? De «l'establishment» ? Des «services secrets» ? Force est de constater que présupposer une théorie du complot est à la fois un argument de vente extrêmement courant mais aussi contribue à renforcer l'identité du groupe qui se constitue autour de Michel Onfray comme «des gens qui dérangent»[12].</ref></ref>. Or qui dit renforcement de l'identité d'un groupe, dit aliénation des singularités de ses individus.
Ces méthodes de manipulation sont tout à fait connues. «L'université est anti-fasciste» nous dit Onfray, cela résume beaucoup de ce discours creux, trendy, en opposition adolescente avec le reste de la société. Le sillon que creuse Onfray, c'est l'épicurisme moderne, un genre de développement personnel à la sauce anglo-saxonne, à la fois égoïste mais plein d'une bonne conscience à la française, inscrite dans la droite lignée de notre héritage catholique et de notre tradition communiste.
Conclusion
Je ne crois pas que l'université populaire de Michel Onfray dérange, comme les sectes inoffensives ne dérangent pas vraiment. Tout comme je ne crois pas que les cours qui en sont issus (que je n'ai pas tous écoutés et que je ne commenterai pas tous tellement il y aurait à dire à chaque fois) puissent élever le doute personnel plus que la voie traditionnelle d'enseignement de la philosophie, que je trouve très imparfaite.
Car, pour Onfray, qu'est-ce que le «gai savoir» ? C'est une façon personnelle de prêcher, de pouvoir lire des livres et en écrire, de pouvoir en vivre, et de valoriser sa personne en tant que gourou mégalomane, d'avoir une horde d'admirateurs, d'être une rock star ? Il est et reste le fruit de son système. Pourtant, il distord peu à peu les principes très instables de la philosophie en se laissant tenter par la création d'une religion de la philosophie dont lui serait le dieu, décidant ce qu'il est bon de lire ou de ne pas lire, et comment on doit lire untel. Il innove en faisant de lui un philosophical preacher, un nouveau Zarathoustra exhortant les masses pour leur donner une réponse à leur besoin de sens.
Si cette analyse pamphlétaire cerne de manière juste le problème, ce qui est loin d'être certain, la question qui se pose est de savoir si Onfray est un manipulateur volontaire où s'il est la première victime de son aliénation. Je laisse le lecteur seul juge de son analyse dans ce domaine.