Rupture épistémologique et polythéisme

Un article de Caverne des 1001 nuits.

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Introduction

Gaston Bachelard, dans son livre La philosophie du non, étudie la notion de « rupture épistémologique ». Brièvement, cette notion indique un changement de perspective profond dans l'histoire des sciences lorsqu'un homme, non convaincu intérieurement du consensus de ses pairs, en vient à remettre en cause la vision communément admise et propose une nouvelle représentation des phénomènes qui jusqu'à lors étaient connus d'une autre façon. La rupture épistémologique est donc un changement de système de représentation, un changement de référentiel de la pensée.

Si l'on part du principe que, derrière toute rupture épistémologique, on trouve des individus singuliers, il est possible d'éclairer le phénomène sous un éclairage religieux.

Le maître et l'élève

En sciences, le parcours de la plupart des scientifiques peut prendre deux grands types de voies :

  • suivre une école de pensée, s'y inscrire et y rester fidèle ; c'est la position de l'élève ;
  • remettre en cause de manière fondamentale les modalités de représentations scientifiques du moment ; c'est la position du maître.

La position de l'élève a de nombreux avantages « sociaux » :

  • elle protège de l'accusation de bêtise scientifique si on s'aligne sur les théories du ou des maîtres, ce qui suscite la notion de fidélité à des théories ;
  • elle propose une identité par l'appartenance à une véritable « école scientifique » ;
  • elle rassure sur sa petitesse individuelle par rapport à celle du ou des maîtres, en rapport au « panthéon des grands hommes » ;
  • elle permet de se positionner moralement contre les « insensés » qui proposent des théories différentes.

La position scientifique de l'élève a donc tout d'une profession de foi dans un système de nature religieuse.

La position d'un futur « maître », en ce qu'elle est une remise en cause fondamentale des représentations passées, est, elle, beaucoup plus inconfortable car elle s'affronte à des sentiments de type religieux, présents chez les anciens maîtres et chez leurs élèves.

En effet, une école de pensée scientifique est souvent gardienne de « la représentation du monde », représentation dont les fruits se voient, à toute époque, par les progrès techniques qu'elle engendre et qui sont, eux, incontestables. Le futur maître est donc un individu qui combat :

  • une certaine représentation du monde,
  • une école de pensée qui défend cette représentation du monde,
  • les fruits de l'école de pensée au sein de la réalité de son temps (tournant notamment autour des notions de « progrès techniques ».

A l'instar d'un prophète qui viendrait proposer une « nouvelle » religion, le futur maître se heurte aux religions en place, à leurs fruits et à leurs adeptes.

Modèle:Les failles de l'aura

Pourant, le mâitre à penser est un homme comme un autre qui a, sans doute, fait des erreurs et qui n'a pas découvert l'exhaustivité de ce qu'il fallait découvrir. Si bien que si l'on part du principe que le maître a raison (et la structure de ses adptes fanatiques nous y pousse), on peut accorder une certaine foi à des thèses parfois franchement absurdes, oublier que des domaines d'investigation et de recherche sont vierges ou simplement ne pas oser envisager le problème autrement.

C'est ce poids dans l'inconscient collectif des chercheurs qui stérilise les découvertes, les investigations de voies anciennes abandonnées pour de mauvaises raisons ou les investigations de voies nouvelles non conformes avec les intuitions du maître. En quelque sorte, la réputation scientifique construit cet inconscient collectif de l'histoire des sciences, cet inconscient collectif punitif dans la mesure où le blasphémateur du maître doit être châtié (pas de poste de chercheur, pas de publication, il y a de nombreux moyens de ramener les gens à la «raison»).

Modèle:La rupture épistémologique

La rupture épistémologique est donc le produit d'une personnalité singulière qui peut dépasser cet inconscient collectif, quitte à égratigner les idoles ou à tracer son propre chemin, et d'un réel talent scientifique. Voilà pourquoi nous connaissons si peu de ruptures épistémologiques : du fait même de la façon dont l'inconscient collectif scientifique se construit en adoubement par rapport aux grands anciens.