Les tentations du soufisme "moderne"
Un article de Caverne des 1001 nuits.
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Le soufisme, « branche » spirituelle de l’islam, actuellement présent en Occident, fait parfois montre d’un certain nombre de tendances qui mettent en danger sa substance même. En s’occidentalisant, le soufisme perd son but premier ; en se vulgarisant, il fait face à un risque majeur de décomposition progressive du message sous-jacent au soufisme : l’interprétation spirituelle de la Révélation de Muhammad, l’utilisation personnelle des enseignements de cette révélation dans la voie de la perfection et le contact avec Dieu.
Sommaire |
Introduction
Le soufisme semble tenté en Occident par quatre grands types de menaces, menaces qui peuvent se mélanger dans certains cas :
- la dérive prosélyte,
- la dérive syncrétique,
- la dérive culturelle,
- la dérive intellectuelle.
La dérive prosélyte
La dérive prosélyte est la plus facile à repérer. Elle se compose d’un certain nombre de maîtres soufis qui, à l’instar d’autres mouvements religieux de par le monde, cherchent à faire des émules. Cette démarche remet en cause de manière fondamentale la route du derviche vers son ou ses maîtres successifs.
Cette tendance, très anglo-saxonne, vise à promouvoir des types de soufisme comme on promeut des produits consommables, abordant ainsi la question de la spiritualité comme une vulgaire question de consommation courante. Le soufisme devient donc une offre de « produit », en concurrence avec les autres produits religieux dont l’Amérique se délecte. L’islam présenté y est soit optionnel (sic), soit très littéral, suivant les courants. L’image du cheikh est médiatisée, comme l’image des autres types de « preachers ».
Cette dérive est très dangereuse dans ce qu’elle perpétue l’égarement des disciples auprès de maîtres dont la justesse spirituelle ne se montre pas dans les premiers de leurs actes, actes pouvant parfois ressembler à un certain racolage qui, de par sa structure même de « vente », paraissent anti islamiques et anti soufis. Car, qu’attendre d’un maître flattant son ego en usant les moyens de communication modernes ?
La dérive syncrétique
Cette seconde tendance du soufisme est souvent couplée avec la première. Si certains courants dits soufis acceptent de ne plus lier le soufisme à l’islam ou d’intégrer au soufisme des éléments extérieurs (souvent qualifiés de manière islamique comme des « innovations »), c’est pour faire des émules.
Le soufisme devient alors une nouvelle forme de « New Age », forme qui, perdant ses principes les plus fondamentaux, envisage le maître voire les disciples comme habilités à intégrer des éléments disparates dans la tradition de la voie soufie concernée.
Si cette non orthodoxie proclamée est un moyen de faciliter la percée du message soufi (ou ce qu’il en reste) au sein d’opinions publiques peu enclines aux contraintes religieuses de l’islam et de ces cinq piliers, il peut aussi véhiculer des dangers spirituels certains.
Si le soufi se nomme parfois « gnostique » dans le monde islamique au sens premier de « connaissant des secrets de Dieu », le gnosticisme soufi, par ce syncrétisme religieux, devient plus proche du gnostique chrétien des premiers siècles du christianisme, c’est-à-dire « hérétique », de par son incompréhension de l’équilibre fondamental qui règne dans le monothéisme. En « associant » des choses à Dieu, il devient éloigné du soufisme, car il est éloigné du monothéisme lui-même.
Le syncrétisme que l’on observe dans le soufisme peut aller, dans les sociétés occidentales, jusqu’à mener à une dénaturation similaire du message islamique et soufi comme le yoga a connu en Occident en rapport avec ses origines indiennes. Il devient alors un genre de mode de vie « tendance » et favorise la construction de petites mythologies personnelles, agrégats de croyances diverses et de pratiques plus ou moins « relaxantes » à consonnance « orientale ».
La dérive culturelle
La dérive culturelle est probablement la dérive la plus pernicieuse du soufisme dans la mesure où, passant par la culture soufie, le soufisme passe pour un jeu de pratiques « divertissantes », « autochtones », « ethniques », quand il se fait « démonstration », « divertissement ».
D’autre part, quand le soufisme se coule dans les pratiques sociales les plus éphémères ou quand il se compromet à parler du soufisme à des gens qui ne peuvent ou ne veulent entendre, il risque de se corrompre, dans son sens comme dans ses intentions.
La culture occidentale, et notamment la culture française, a un indébiable pouvoir d’« intégration ». Mais le revers de la médaille de cette intégration est de vulgariser les cultures afin de les mettre toutes sur le même pied d’égalité. Ainsi, le soufisme peut ne devenir qu’une « étiquette » que l’on se colle pour se définir, au milieu d’un jeu d’étiquettes « disponibles » au sein de la société. Si telle personne aimera aller voir au cinéma des films d’action, telle autre personne se sentira proche du soufisme. Le soufisme devient un « goût » et non plus un engagement personnel profond.
Il y a dans cette approche un véritable reniement de la nature exceptionnelle du message religieux. Il y a dé-sanctification du message, ce qui dénature de la manière fondamentale la profondeur de l’islam d’une part et du soufisme d’autre part.
Les maîtres soufis engagés dans ces voies sociales devraient s’interroger sur la décomposition du catholicisme dès lors que ce dernier toléra voire encouragea une certaine dé-sanctification de son message. Le soufisme social et culturel peut participer à cette érosion s’il ne cherche pas des limites claires à sa vulgarisation.
La dérive intellectuelle
Cette dérive est aussi une tendance du soufisme qui, au contact de l’Occident, formule ses études sur lui-même dans un cadre universitaire fondamentalement athée (et donc fondamentalement intellectuel), par le sens comme par les voies d’accès à la connaissance. En réduisant le soufisme à des études biliographiques et des commentaires « à l’occidentale », le soufisme perd son besoin d’expérience. Il acquiert bien sûr, une certaine dimension théologique, dimension qui, une fois encore, fut très dommageable pour l’Eglise catholique, en ce sens que la théologie catholique dériva de la perspective d’une religion prise comme un objet intérieur à une vision plus rationaliste d’une religion prise comme un objet d’étude « extérieur ».
La dérive intellectuelle est bien entendu un moyen de faire des prosélytes, et probablement un des meilleurs moyens dans des sociétés occidentales où la dimension du cœur des hommes est négligée au profit au profit de leur dimension purement intellectuelle. L’étude universitaire du soufisme revient donc à la manipulation intellectuelle de « concepts », manipulation qui éloigne des voies soufies authentiques.
Une perte des bases
Ces dérives mettent en lumière des traits fondamentaux des sociétés occidentales :
— une notion faussée de la religion : la religion est un « marché » comme les autres avec ses propres lois de marché, avec ses concurrences, avec des pratiques qui, pour « vendre », poussent au prosélytisme, la « démarche commerciale » religieuse ;
— une notion faussée de la liberté : la liberté occidentale est de vanter la prédominance de l’ego personnel, d’« avoir le droit de faire ce qu’on veut », de ne rien respecter comme sacré, de tout savoir mieux que tout le monde, ce qui pousse au syncrétisme ;
— une notion faussée de la culture : tout est, dans la « culture » occidentale mis sur le même plan, sur le plan de la consommation, ce qui pousse au consumiérisme culturel, à la logique de l’« entertainment » ;
— une notion faussée de l’intellect qui part du principe que toute connaissance peut être abordée par le biais de l’intellect, ce qui pousse à l’intellectualisme.
Il y a donc bien un problème de perspective : les maîtres soufis engagés sur ces chemins dangereux réalisent-ils qu’ils dénaturent le message islamique et les traditions soufies en « s’occidentalisant » ? Car, jusqu’à preuve du contraire, leurs tentatives illustrent parfois de manière flagrante l’inverse de leurs intentions de départ.
Que penser de ces maîtres à l’ego démesuré qui s’autorisent à jouer le jeu du matérialisme occidental afin de faire des émules ? Que penser de leurs innovations ? Que penser de leurs jeux orchestrés pour faire croire à une connaissance qu’ils auraient et qu’ils ne transmettraient qu’à un petit nombre d’êtres choisis ? Que penser de l’illustration par certains de ces courants des principes les plus anti islamiques ?
Des dérives vieilles comme le soufisme lui-même
Au delà de ce constat un peu négatif, il est nécessaire de relativiser quelque peu, car ces dérives sont vieilles comme le soufisme lui-même. Elles ont même occasionné une littérature abondante sur le sujet. N’est pas maître qui veut. On est toujours limité par la capacité de son propre cœur.
Ces voies du « soufisme occidental », lorsqu’elles sont compromises dans leurs principes fondamentaux, restent des ponts vers un soufisme plus authentique et vers une meilleure connaissance de l’islam. De plus, elles agrègent des gens qui ont souvent une action positive au travers de messages de tolérance prodigués dans la société occidentale.
Si l’intention est souvent bonne dans ces mouvements, ces voies méritent-elles pourtant encore le nom de soufisme ? Car, s’il est indéniable que les humains ont en eux ce besoin spirituel depuis les débuts de l’homme, il est difficile de voir dans quelques unes de ces traditions actuelles l’essence même du soufisme : la guidance du derviche vers Dieu.
Fort heureusement, les écrits des grands saints de l’islam, parmi lesquels on compte nombre de soufis, sont disponibles dans un grand nombre de langues. Tant que des personnes de cœur existeront pour « vivre » ces livres et tant que ces mêmes personnes écouteront leur cœur pour distinguer le bon grain de l’ivraie pour aller vers le maître, le soufisme vivra.
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