A propos de Michel Onfray
Un article de Caverne des 1001 nuits.
Qu'est-ce que la philosophie ? Comment l'enseigner ? Michel Onfray, avec son université populaire, entend répondre à un « besoin de sens » qu'il ressent chez ses participants (plus de six cents à chacune de ses conférences, retransmises tous les étés sur une radio publique). Cet article a pour but d'analyser quelques uns des discours de Michel Onfray, philosophe qui, si son intelligence est incontestable, véhicule un certain nombre d'idéologies haineuses. Drapé derrière une démarche classique, celle du philosophe de l'agora, accommodé au parfum rebelle si tendance dans nos sociétés insatisfaites, les messages de Michel Onfray sont un remarquable outil de pouvoir et de manipulation, bien plus voisins des poncifs de la société française que ce dernier ne veut bien l'admettre.
Sommaire |
Petit historique du cas Michel Onfray
Le constat : personne n'a rien compris à rien avant Michel Onfray
Michel Onfray a subi une formation de professeur de philosophie. Il y constata que le monde de la philosophie française, notamment au travers des institutions publiques (lycée, faculté, recherche) était un monde consanguin dans lequel des gens autorisés s'autorisaient à penser sur des thèmes philosophiques, tout en pratiquant une ségrégation systématique avec ceux qui n'était pas de leur monde.
Il y a malheureusement peu de choses à dire quant à ce constat, à part le fait qu'il soit un peu caricatural. Michel Onfray, comme tous les philosophes auxquels il se réfère et auxquels il ne se réfère pas, possède ce sens du constat. D'une façon général, il est le digne fils de sa formation, car tous les philosophes excellent dans la science du constat. On pourra noter que derrière ce constat, a priori partagé et de bon sens, on retrouve dans l'ensemble de la philosophie le même travers : orienter un constat pour « vendre » ses propres solutions.
Michel Onfray, à la suite de son passage dans le parcours dit normal, rejeta tout en bloc, gardant avec lui l'image un peu naïve qu'une autre façon de faire de la philosophie, qu'une philosophie collaborative inspirée des philosophes de l'agora, était possible. Il démissionna de l'Education Nationale et créa, avec certain de ses amis, l'« Université Populaire de Caen». Cette université auto-proclamée a, durant un temps, défrayé la chronique dans l'establishment français de la philosophie.
Une critique (justifiée) de l'enseignement philosophique français
Le problème actuel de la formation philosophique réside moins dans les hommes qui l'enseignent - et qui probablement cherchent à garder quelque mainmise sur leur domaine, phénomène très courant en sciences et pas seulement en sciences humaines - que dans une séparation complète des compétences scientifiques et littéraires qui conduisent une frange limitée et homogène des étudiants à choisir cette voie.
Le problème est donc que, pour « penser le monde », les apprentis philosophes n'en ont souvent pas les moyens :
- pas assez d'enseignements de la logique pour parvenir à décrypter la manipulation ou les belles phrases ou pour pouvoir construire des raisonnements argumentés sans conjecture,
- pas assez de cours de mathématiques, de physique et de biologie pour comprendre la science qui les entoure et qui tisse notre quotidien (Michel Onfray dirait « notre modernité »),
- pas assez de cours d'économie pour pouvoir réfléchir sur le monde économique (et les cours de Michel Onfray sur « l'hédonisme social » tendent à montrer que les conjectures économiques des philosophes hédonistes sont parfois totalement décalées de la réalité),
- pas assez de cours d'histoire de l'art pour comprendre les mouvements artistiques et des notions très contestables de l'histoire de la pensée, voire de l'histoire tout court.
L'apprenti philosophe est devenu une sorte de « philosophe de café-philo », capable de parler de tout sans réellement connaître quelque chose à la vie ou au monde qui l'entoure, de sortir ses certitudes sans pouvoir construire d'argumentaire logiquement correct. En un mot comme en cent : le philosophe d'aujourd'hui est capable d'ergoter.
Notons que cette formation de « philosophe » n'est pas abordée de la même façon dans les autres pays, notamment les pays anglo-saxons, mais que, dans le démarrage de l'aventure Onfray, il ne s'agissait que de s'inscrire contre la façon française, bien critiquable certes, d'envisager la philosophie.
Michel Onfray n'a pas fait de psychanalyse
Michel Onfray a malheureusement subi cet enseignement et, qu'il le veuille ou non, il peut apparaître comme un pur produit de ce dernier, n'ayant pas remis en cause en lui un héritage lourd à porter, comme nous allons le montrer dans la suite de cet article.
Nous pouvons, à cette occasion, nous demander si Michel Onfray est bien rompu à ce qu'est le travail sur soi, et s'il a mené ou fait mener une (auto)analyse. En effet, avant de parler du monde, il est nécessaire de savoir qui nous sommes. Michel Onfray nous donne la leçon sur ce que nous sommes, comme nous allons le voir, sans véritablement savoir qui il est.
D'ailleurs, dans cette démarche toute égocentrique, toute « je m'auto-proclame philosophe », nous retrouvons la manière dont la psychanalyse est enseignée en cours de philosophie. Celle-ci illustre un décalage patent entre les mots et soi-même. Car la psychanalyse est trop souvent encore utilisée par les apprentis philosophes comme une « caution », comme un moyen de lire des choses cachées dans la conscience des autres, mais en aucun cas de se remettre en question et de lire des choses cachées en soi-même. D'une manière générale, l'establishment de la philosophie française use de cette caution comme d'un argument de pouvoir et donc de protection, usant de cette technique de manière asymétrique vers le monde, comme argument para-scientifique de poids.
Cette démarche est d'ailleurs parfaitement identique entre Michel Onfray et le milieu de la philosophie dont il est issu : on parle psychanalyse mais on est loin d'avoir un jour tenté de faire la sienne.
Onfray, the preacher
L'Université et le preacher
Michel Onfray a donc créé, il y a quelques années, son université populaire avec pour but de faire revivre les questions existentielles.
Dans la construction de cette université, de cette « école », on peut analyser l'acte de sécession fait par Michel Onfray comme un acte adolescent[1], un acte de rupture usant d'une symbolique à la fois révolutionnaire - lutte contre le système - et réactionnaire - retour à des vraies valeurs comme celles de la tradition grecque. Onfray professe dans cette université « pour assouvir le besoin de sens » (sic) de ceux qui y viennent.
Pour un révolté contre le système de professorat classique, la démarche est déjà étonnante. Que ce dernier se soit contenté d'écrire des livres aurait eu une certaine cohérence, celle de refuser l'enseignement en tant que tel de la philosophie et de poser la question de la possibilité même d'un tel enseignement. Mais le positionnement de Michel Onfray est plus pernicieux, car il prétend faire mieux que l'enseignement classique tout en faisant en quelque sorte contre l'enseignement classique.
De plus, l'audience change avec l'Université. Michel Onfray y ergote devant une audience adulte qu'il est capable de subjuguer de son verbe, au lieu de tenter d'intéresser aux subtilités de Platon ou de Freud, des adolescents corrompus par le monde dans lequel ils vivent.
De plus, dans les formes que prennent cet enseignement alternatif (pas de contrôle, par de lois, etc.), on pourra se poser la question de la différence que cet enseignement comporte dans toutes ses ramifications avec le discours religieux d'un prêche. L'orateur se positionne en donneurs de leçons comme un Zarathoustra moderne), en tant que celui qui apporte du sens, prêchant ses ouailles et leur permettant à la fin de réagir sur le canevas que lui a tissé. Le discours doctoral est transformé en prêche doctorale, avec débat, mais avec le sous-entendu supplémentaire que le conférencier Onfray fait mieux que ses collègues, qu'il apporte plus de sens, qu'il comble un vide, qu'il répond à une demande d'un certain public. La démarche est donc loin d'être neutre car elle est une reproduction du modèle classique dans lequel la légitimité auto-proclamée revendique d'apporter des solutions, de combler le vide de sens.
Une fois encore, nous pouvons nous interroger sur la dérive du modèle classique, sur le manque de recul de l'interprétation des textes exposés pendant les cours, ou au contraire sur leur interprétation projective. Il y a là tous les ingrédients pour manipuler, car le travail d'Onfray, en voulant combler le vide, se place sur le plan des solutions et non des problèmes. Il y a donc une démarche comparable à une doctrine religieuse ou politique : venez me voir et vous saurez comment être heureux en pensant. Le jeu sur le bonheur de penser est typiquement du ressort des grands mécanismes des preachers américains : celui de prétendre rendre les gens « heureux ».
Bien entendu, Onfray se défend de cette interprétation en l'anticipant, en voulant se placer à l'extérieur de la démarche à la fois politique et religieuse.
Quand on a fréquenté les « cafés-philo », on voit ce que peut être le niveau de débat dit philosophique sur n'importe quel thème : un déballage d'idées reçues parfaitement contingent, une impossibilité de tenir des raisonnements basés sur des idées complexes en raison d'une lecture projective des arguments et des concepts[2]. Le débat final des cours de Michel Onfray sert donc de caution pour que tout le monde en ait pour son argent (au sens figuré car l'université est gratuite), que le public soit satisfait, qu'il ait l'impression d'avoir pu user de son droit de parole - et surtout de son devoir d'écouter « la bonne parole ».
Car, nous pourrions parler de la relation à l'argent que condamne Onfray au travers de « ceux qui surfent sur la vague philosophique » (sic). Nous sommes ici en présence d'une projection tout ce qu'il y a de plus banale car Michel Onfray condamne ceux qui surfent sur la vague philosophique alors qu'il est un champion du surf sur la vague philosophique, et que ses livres sont, à leur manière, des petits best-sellers.
Un mouvement sectaire ?
La structure du mouvement sectaire est souvent basée sur une attaque, comme mouvement sectaire, de ce qui contrarie les libertés du mouvement. Pour une secte, c'est la société qui est sectaire de ne pas accepter son existence. Michel Onfray, c'est à la fois une prêche régulière et des lectures projectives, mais aussi une machine financière, c'est à la fois un discours contre l'establishment social de la philosophie à quoi s'ajoute une sympathie pour quelques courants « alter » ou « libéraux » selon les cas, et une volonté de donner des solutions dans le penser « libre et heureux ». En conclusion, ça ressemble beaucoup à un mouvement sectaire dont Michel Onfray, lui-même, serait le gourou.
La structure sectaire tente d'utiliser les médias pour la glorification de son gourou et c'est ce qu'Onfray fait à l'aide de son Université ainsi que l'aide des médias publics. Il s'est construit l'image d'un gourou isolé, en dehors du brouhaha parisien et du système, mais il reste très sensible à ce qu'on parle de lui, très sensible aux prêches, et très sensible au fait d'attirer quantité de gens à chacune de ses « messes ».
Il est d'ailleurs tout à fait significatif que ce dernier indique que son succès est « suspect » (sic). Premièrement il évoque ce « succès » comme un gage de qualité, mais on pourrait lui rétorquer que nombre de talk-show attirent les foules. Deuxièmement, on voudrait demander mais vis-à-vis de qui ce succès est-il gênant ? Des « autorités » peut-être ? De « l'establishment » ? Des « services secrets » ? Force est de constater que présupposer une théorie du complot est à la fois un argument de vente extrêmement courant, mais aussi contribue à renforcer l'identité du groupe qui se constitue autour de Michel Onfray comme « des gens qui dérangent »[3]. Or qui dit renforcement de l'identité d'un groupe, dit aliénation des singularités de ses individus.
Ces méthodes de manipulation sont tout à fait connues. « L'université est anti-fasciste » nous dit Onfray, cela résume beaucoup de ce discours creux, trendy, en opposition adolescente avec le reste de la société. Le sillon que creuse Onfray, c'est « l'épicurisme moderne », un genre de développement personnel à la sauce anglo-saxonne, égoïste mais plein d'une bonne conscience à la française, inscrit dans la droite lignée de notre héritage catholique et de notre tradition politique emprunte de communisme.
L'Université de Michel Onfray dérange-t-elle ?
Car, au delà des discours, il n'est pas certain que l'Université Populaire de Michel Onfray dérange, comme les sectes inoffensives ne dérangent pas vraiment. Tout comme il est très contestable que les cours qui en sont issus puissent élever le doute personnel, plus que la voie traditionnelle d'enseignement de la philosophie, même si cette dernière s'avère très imparfaite.
Car, pour Michel Onfray, qu'est-ce que le «gai savoir» ? C'est une façon personnelle de prêcher, de pouvoir lire des livres et en écrire, de pouvoir en vivre, et de valoriser sa personne en tant que gourou mégalomane (et sexuellement ouvert), d'avoir une horde d'admirateurs, d'être une « rock star » de la philosophie ? Il est et reste le fruit de son système.
Pourtant, il distord peu à peu les principes très instables de la philosophie en se laissant tenter par la création d'une religion de la philosophie dont lui serait le dieu, décidant ce qu'il est bon de lire ou de ne pas lire, et comment on doit lire untel ou untel. Il innove en se présentant en philosophical preacher, en s'incarnant dans le nouveau Zarathoustra exhortant les masses pour leur donner une réponse à leur besoin de sens.
L'affaire du « Traité d'athéologie »
Michel Onfray s'est empressé de terminer une « contre histoire de la philosophie » afin de calmer un peu le brouhaha ambiant autour du Traité d'athéologie, véritable pamphlet haineux contre les trois monothéismes, essai simplificateur, agressif, à tendance raciste et entaché d'erreurs de toutes sortes, du point de vue logique, historique et philosophique.
En l'espace de quelques temps, l'« alter philosophe » est devenu « contre philosophe », radicalisant sa position et, finalement, rameutant autour de lui des extrémistes anarchistes ou libertaires, très éloignés de sa cible première de lecteurs.
Cadre du livre
Lorsque Michel Onfray parle d'athéisme, cela se nomme « athéologie », peut-être parce qu'« athéisme » rime avec « extrémisme ».
On cherchera en vain un cadre rigoureux à l'étude, un cadre qui fonderait cette « athéologie » comme une discipline philosophique à part entière, qui exposerait selon quels concepts l'étude va s'appuyer, suivant quelle optique, quelle méthode. Or, il y a manifestement tromperie sur la marchandise car il ne s'agit que d'un coup de gueule affectif et illogique, qui a l'outrecuidance de laisser croire à la fondation philosophique d'une nouvelle sous-partie de la philosophie.
Peut-être est-ce dû au fait qu'Onfray, en « contre philosophe » se « contre-fiche » du lectorat classique des livres de philosophie. Peut-être visait-il une autre audience, plus nombreuse... et plus lucrative. Peut-être son hédonisme avait-il atteint un besoin de reconnaissance médiatique personnelle ?
Onfray est parti de l'Education Nationale, mais on comprend pourquoi. Le vieil Etablissement français, pour tout imparfait qu'il soit, n'aurait jamais permis la publication d'un tel monument de bêtises et de haines primaires, du moins sous son haut patronat.
Un problème de méthode
Jouons le jeu d'Onfray. Notons « X », une communauté de personnes quelconque, ayant une doctrine. Je cite :
- Je ne méprise pas les [gens appartenant à la communauté X], je ne les trouve ni ridicules, ni pitoyables, mais je désespère qu'ils préfèrent les fictions apaisantes des enfants aux certitudes cruelles des adultes.
Qui prononce cette phrase ? Monseigneur Lustiger en parlant de la naïveté manipulée des consuméristes athées, ou Onfray en parlant des « croyants » ?
Continuons :
- La crédulité des hommes dépasse ce que l'on imagine. Leur désir de ne pas voir l'évidence, leur envie d'un spectacle plus réjouissant, même s'il relève de la plus absolue des fictions, leur volonté d'aveuglement ne connaît pas de limites.
Qui dit cela ? Un imam islamiste en parlant des valeurs de l'homme occidental athée, uniquement basées sur l'argent, la réputation sociale et le pouvoir ? Staline en parlant de l'endoctrinement des masses au mirage du communisme ? Ou Onfray parlant des « croyants » ?
Bien sûr ces phrases sont issues du Traité. Le problème est que l'on pourrait retourner comme on le veut toutes ces phrases dans la bouche de n'importe quel religieux, tenant de l'athéisme compris. Car le bas blesse ici : on ne peut pas faire un livre sur l'athéisme, sans faire un traité de théologie, et sans être soi-même, en un sens, un religieux.
Nous aurions tous aimé que la puissance intellectuelle de Michel Onfray parvienne là où aucun philosophe n'était parvenu auparavant : poser les bases théoriques d'un athéisme qui ne serait pas une doctrine de structure religieuse.
Pour quelqu'un qui prétend hériter de Nietzsche, la filiation est abusive, car Nietzsche était souvent d'une implacable logique (quoique défendant des thèses parfois contestables), logique que l'on ne trouve pas dans Onfray, logique qu'Onfray aurait pu apprendre chez Kant, tout « contre philosophe » qu'il est, et tout haineux qu'il est vis-à-vis de ce dernier.
Que dire alors de ces invectives, très classiques, qui sont similaires en tous points aux fleurs vénéneuses que les tenants des religions diverses ne cessent de s'envoyer, se critiquant les uns les autres ? Onfray entre avec la bannière du « fanatisme athée » dans la bataille pour attaquer les autres fanatismes religieux. Difficile à défendre, même « pour la bonne cause ». Tout cela sent la morale, mais une morale qui ne se dit pas : une morale « personnelle » peut-être.
Là encore, le bas blesse. Onfray voudrait profiter de la vague athée modérée actuelle pour pousser les gens à glisser du culte de la laïcité, version loi de 1905, vers « l'athéisme ». Fort heureusement, il existe des athées tolérants, tout comme il existe des croyants tolérants. Onfray ne fait partie, lui, ni d'un groupe ni d'un autre, car l'adjectif « tolérant » lui est parfaitement inconnu, comme on va le voir.
Onfray, the atheist preacher
Les citations suivantes sont assez navrantes, à tel point que l'on se demande si celui qui a écrit cela était seulement un peu intelligent - nous entendons au sens philosophique et, bien entendu pas au sens commercial.
Michel Onfray parle des croyants comme de gens trop disciplinés car complètement manipulés. Ces derniers lui inspirent de la « pitié » (on notera le champ sémantique religieux). Extrait :
- Dès lors je ressens ce qui toujours monte du plus profond de moi quand j'assiste à l'évidence d'une aliénation : une compassion pour l'abusé doublée d'une violente colère contre ceux qui les trompent avec constance. Pas de haine pour l'agenouillé, mais une certitude de ne jamais pactiser avec ceux qui les invite à cette position humiliante et les y entretiennent. Qui pourrait mépriser des victimes ? Et comment ne pas combattre leurs bourreaux ?
Merveilleuse « profession de foi ». Torquemada n'aurait pas dit mieux en parlant des gens possédés par le démon et de leurs complices hérétiques.
Quelques remarques basiques s'imposent :
- « l'évidence d'une aliénation » : les tribunaux civils et pénaux de tous les pays savent ce que sont les évidences pour les «témoins» ; les psys aussi (mais Onfray ne se sert de la psychanalyse que quand ça l'arrange[4] ;
- « compassion » : nous sommes en pleine tradition judéo-chrétienne ;
- « comment ne pas combattre leurs bourreaux ? » : voilà clairement exposée la déclaration de guerre de l'athéisme contre les religions aliénantes, à comprendre « les autres religions ».
Le « preacher » athée va plus loin. Les croyants sont fous :
- Tant que la religion reste entre soi et soi, après tout, il s'agit seulement de névroses, psychoses et autres affaires privées.
En même temps, on trouve en introduction du livre :
- Je ne méprise pas les croyants.
Cette versatilité est étonnante, très adaptée à un propos destructuré et incohérent, dont le seul but est d'épancher une haine personnelle. Quand on pense qu'un des arguments « massue » d'Onfray est que « le Coran se contredit »...
L'artillerie lourde des traités de théologie
Même si le livre est navrant, il est bon de citer quelques exemples concrets afin d'illustrer cette critique. Au fur et à mesure du livre, nous découvrons qu'il s'agit bien, dans le fond, d'un traité de théologie, parsemé d'attaques dont le ton agressif laisse perplexe.
La forme est, par ailleurs, celle d'un discours de type marketing, voire publicitaire, articulé autour de trois axes.
1. D'illustres prédécesseurs ont acheté mon produit
Onfray se cherche des cautions dans les grands philosophes de l'histoire. Il use donc du raisonnement fallacieux qui veut que, comme d'autres ont dit et écrit des bêtises avant lui, ces bêtises soient vraies. Là où le raisonnement est pernicieux n'est pas dans le fait qu'il use d'une bibliographie, mais qu'il use de ces dires anciens comme arguments à une polémique, alors même qu'à l'époque, ces auteurs étaient tout sauf consensuels.
Pour Onfray, bien évidemment, Nietzsche est le point de départ et les philosophes ayant revendiqué être ses héritiers « spirituels » sont les cautions de l'ouvrage. Bien entendu, au sein d'un siècle d'anti-cléricalisme militant en France, les exemples sont plutôt simples à trouver chez des noms qui flattent le grand public français dans le sens du poil[5].
2. Le produit des concurrents est mauvais
Onfray recherche ensuite dans le passé des religions concurrentes des incohérences théologiques manifestes (pour les non initiés), des incertitudes sur qui a dit quoi, ou qui a fait quoi, ou qui a écrit quoi, ou comment les autres ont interprété « faussement » des choses depuis des siècles. Il s'appuie dans cette partie sur le fait de susciter chez le lecteur la peur du complot.
Ce mécanisme est à la base de l'approche mercantile de la philosophie : on ne vend pas son produit (l'athéisme) sans vouloir « prendre des parts de marché » sur les autres. Le « marché » est dans ce cas composé de gens comme nous, intéressés par en savoir un peu plus sur les religions et intéressés par le domaine philosophique. Pour Onfray, la stratégie de vente repose sur une idée force : « déconstruire les trois monothéismes », ses principaux concurrents.
3. Les vendeurs concurrents sont des gens dangereux
Troisième étape, Onfray tente de montrer que les vendeurs de religion sont des gens dangereux. Dans cet axe, il commence à user de tous les amalgames pour faire peur au potentiel « client » et pour le dissuader d'aller acheter ailleurs. Les mots sont à l'image de l'absence de pensée philosophique :
- Des guerres, des expéditions punitives, des massacres, des assassinats, du colonialisme, des ethnocides, des génocides, des Croisades, des Inquisitions, aujourd'hui l'hyper terrorisme planétaire...
Ces diatribes ne sont, malheureusement, pas sans rappeler Staline ou Hitler parlant de leurs concurrents religieux. On apprend donc que « la religion » - concept indéfini - est responsable de tous les maux de la Terre. Onfray a désigné l'ennemi à abattre.
Le programme politique d'Onfray
Onfray procède alors à la construction d'un véritable programme politique basé sur le leitmotiv suivant : tout ce qui touche de près ou de loin à une religion est une absurdité nocive.
Le programme politique se décompose en trois actes :
- « déconstruire les monothéismes » - se prendrait-il pour Derrida ?
- « déconstruire le christianisme », ou comment Jésus est une pure invention ;
- « déconstruire les théocraties », ou la lutte contre l'islam, fondamentalement mauvais car générant forcément des régimes théocratiques.
Le livre n'en finit pas de basculer dans les discours de plus en plus limites. Exhibant le « concept » d'« arrière monde », sans l'étayer ne serait-ce qu'un petit peu, Onfray tente de trouver un argumentaire pour nous dire que tout ce qu'il y a dans les livres saints ne sont que billevesées : le paradis et l'enfer, la morale, les anges, etc. Superstition rime avec « arrière monde ». A l'instar d'un Nietzsche, on est en droit de se demander si ce qu'Onfray n'a pas écrit a le droit d'exister.
La partie sur le christianisme traite de l'« invention » de Jésus, du fait que tous les croyants sont des névrosés, et pire que cela, qu'ils ont été contaminés par Saint-Paul, archétype de l'hystérique[6] ! Heureusement, le « psy » Onfray veille et a détecté ce fait nouveau dans l'histoire du christianisme. L'état chrétien est une dictature et une culture de la « culpabilité » et de « la pulsion de mort ». Par extension, le raisonnement est vrai pour les juifs et les musulmans. Ces attaques contre le christianisme sont parfaitement absurdes, entachées d'erreurs et inacceptables. Peut-être Onfray est-il plus discret avec le judaïsme de peur de se faire traiter d'« antisémite » ?
La partie sur les théocraties est probablement la partie la moins inepte parce qu'elle parle enfin de l'establishment religieux en tant que groupement d'hommes hypocrites se servant de l'image de Dieu pour manipuler les foules. Bien sûr, Onfray avec sa finesse légendaire confond théocratie et islam, et islam et Dieu dans une longue diatribe aux accents un peu racistes.
Une haine étrange de l'islam
La conclusion du Traité est un acharnement, bien de saison, sur l'islam que, manifestement, Onfray ne connaît pas du tout. Répandant une haine islamophobe, Onfray, le « contre philosophe », se fait l'apôtre des confusions les plus regrettables, servant à appuyer son discours intolérant et fascisant.
Soyons clairs, Moïse et Mohammed sont des « bouchers ». De plus, Onfray fait de terribles contresens voulus sur la Guerre Sainte, le « Djihad » qui est une guerre contre soi-même et non contre les autres, au sens du Coran. Pour un philosophe, cette inculture est inacceptable. Par ailleurs, nous dit-il avec le jugement de l'homme du XXIème siècle, le Coran est antisémite et encourage les musulmans à exterminer les non musulmans. Quelle lecture absurde et primitive, totalement contraire à celle de la plupart des théologiens islamiques depuis quatorze siècles ! Et de conclure que l'islam est « incompatible avec les Lumières », alors que la civilisation islamique a inspiré les Lumières. Cette représentation, si elle est fausse, n'en est pas moins, elle-aussi, de saison.
Mais Onfray sait-il seulement que les Lumières attaquaient l'abus de pouvoir dans sa forme religieuse et civile, mais non la foi ?
Nous avons ensuite droit à la comparaison entre islam et nazisme sur la « négation du concept d'universalité » (ce qui est grotesque quand on connaît l'islam) et sur les tatouages pratiqués parfois en Islam durant certains siècles. Puis, Onfray parle de « fascisme musulman » en parlant de l'Iran des années Khomeiny.
L'islam, pratiqué de manière tolérante au travers de la planète dans un grand nombre de pays, est passé sous silence, au profit d'une confusion entre le régime de Khomeiny, présenté comme un modèle de société islamique. Cette confusion grossière est elle aussi inacceptable. Si Onfray ne sait ce qu'est la charia, il ne lui suffit pas de lancer des contresens et des absurdités pour créer une vérité.
Une «laïcité combative», mais contre quoi ?
Onfray défend ensuite une « laïcité combative » qui est en fait un athéisme qui voudrait remettre en cause l'article 18 des droits de l'homme :
- Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction seule ou en commun, tant en public qu'en privé, par l'enseignement, les pratiques, le culte et l'accomplissement des rites.
Cet article devrait être plus souvent publié par nos médias tant son sens premier a été oublié. On y trouve la possibilité d'exprimer sa religion en privé {mais aussi en public}, ce qui fait mal à l'athéiste militant Onfray :
- Tant que la religion reste entre soi et soi, après tout, il s'agit seulement de névroses, psychoses et autres affaires privées.
La « laïcité combative » semble rejoindre la volonté de « faire taire » les religions dans l'espace public. Cela s'apparente à s'y méprendre à des tendances anti droits de l'homme que l'on trouvait chez les Maoïstes ou les Staliniens.
Certaines affirmations de la partie sur la laïcité sont, par ailleurs, plus qu'étranges :
- Nombre de militants de la cause [laïque] ressemblent à s'y méprendre à des cléricaux.
Ici, Onfray nous parle des célébrations civiles inspirées d'une cérémonie jadis religieuse (genre le mariage). Il accuse les militants laïques de tolérer la structure de rite religieux de certains actes civils, et donc, trouve que ces militants ne sont pas assez extrémistes ! Nous sommes en pleine vision stalinienne de la société, l'objectif étant, pour Onfray, de détruire toutes les traces des rites religieux dans la vie civile. Cela fait froid dans le dos.
Onfray en rajoute sur l'attaque d'une laïcité « trop tiède » :
- Car en mettant à égalité toutes les religions et leur négation, comme y invite la laïcité qui triomphe aujourd'hui, on avalise le relativisme : égalité entre la pensée magique et la pensée rationnelle, entre la fable, le mythe et le discours argumenté, entre le discours thaumaturgique et la pensée scientifique, entre la Torah et le « Discours de la méthode », le Nouveau Testament et la « Critique de la Raison Pure », la Coran et la « Généalogie de la morale ». Moïse vaut Descartes, Jésus, Kant et Mahomet, Nietzsche...
Que nous propose donc Onfray ? De faire des autodafés des livres religieux ? D'effacer de nos mémoires notre tradition judéo-chrétienne ? De gommer notre histoire ? D'oublier la religion comme un fait éternel ?
Quel est au juste le but de cette diatribe ? De faire comme Mao durant la « révolution culturelle » : de détruire toute trace du passé sous prétexte qu'il est de près ou de loin lié à une religion ?
C'est la consternation la plus totale, même pour les tenants de la laïcité française, même pour les athées modérés et tolérants, qui ne peuvent être qu'horrifiés par ces propositions sous-entendues. Onfray prône l'oubli de son passé, le refoulement, la destruction des liens avec un passé dans lequel la tradition religieuse joua un grand rôle, et pas seulement un rôle négatif.
Onfray, dans sa Contre histoire de la philosophie, fait oeuvre de « révisionnisme » ; il souhaite réécrire l'histoire de la philosophie, une histoire à charge, une histoire contre la mémoire et confondant les interprétations de certains extrémistes religieux avec le fait religieux, indéniable depuis la naissance de l'humanité. Comment Onfray peut-il, en « philosophe », nier l'existence d'écrits dans tous les siècles sur la question religieuse, depuis la fameuse quête de Gilgamesh retrouvée dans la bibliothèque de Ninive, jusqu'aux écrits de psychologues comme [?Abraham Maslow] sur l'ethnographie de la « révélation religieuse » (expérience paroxystique) ? Quel gonflement insupportable de l'ego le porte à de pareilles mises en scènes négationnistes ?
En un sens, Onfray ne fait que retenter la réinterprétation communiste de l'histoire de France[7] que l'on connut dans les années 60 et 70. Onfray, en tout bon « contre philosophe », « oublie » tout simplement de parler des philosophes croyants, quand il souhaite défendre la thèse d'une éradication du religieux et des traces du religieux dans les esprits, comme dans les cœurs, comme dans la société.
Loin de reconnaître le fait religieux et de l'étudier dans ses dérives, Onfray veut le réduire à néant, le fait ainsi que ses héritages, et l'histoire qui lui est associée ! Onfray apparaît ici comme un genre de monstre au sommet de l'égotisme, tout comme son maître Nietzsche, un cœur sec et haineux, un révisionniste dangereux, un maoïste primaire déguisé en hédoniste. Onfray est le Khomeiny de l'athéisme !
Quand Onfray dit :
- A l'heure où se profile un ultime combat - déjà perdu... - pour défendre les valeurs des Lumières contre les propositions magiques, il faut promouvoir une laïcité post-chrétienne, à savoir athée, militante et radicalement opposée à tout choix de société entre le judéo-christianisme occidental et l'islam qui le combat. Ni la Bible, ni le Coran.
Nous nageons, en fait, dans les fantasmes et les peurs d'un « psychotique charismatique » qui veut refaire le monde à son image, et qui veut propager ses solutions à ses propres problèmes psychologiques à « ses ouailles ». Pourquoi cette peur de notre histoire, de nos traditions, pourquoi cette intolérance avec ceux qui croient, pourquoi ne pas se contenter d'une pacifique cohabitation entre croyants et non croyants ? Pourquoi vouloir créer de nouvelles guerres de religion (l'athéisme extrême en étant une) ?
Notons que Michel Onfray n'en est pas à son coup d'essai, ni à sa première défense de cette thèse néo-maoïste :
- On fustige parfois mon antichristianisme agressif au motif que la France ne serait plus catholique et que je tirerais sur une ambulance, activité inutile et incertaine... Or je crains l'inverse : la moindre adhésion aux pratiques rituelles de terrain - encore que... - se double d'une soumission viscérale aux idéaux chrétiens qui travaillent le corps et l'âme du plus grand nombre comme jamais. Cette religion apparemment absente détermine encore les pensées, les comportements et les réactions avec la complicité d'une laïcité qui singe à s'y méprendre les valeurs bibliques.
Ainsi s'exprime-t-il dans La philosophie féroce. On voit bien quelle est l'ampleur effrayante de la paranoïa d'Onfray envers les religions. Une nouvelle fois, il confond les écritures saintes avec certains principes moraux, parfois contestables, qu'en ont tiré, de manière pas toujours légitime, les religions au sens de « structure religieuse ». Comme avec Nietzsche, nous nageons en plein délire personnel.
Vices de forme et de logique à chaque étage
Est-il besoin de rappeler, dans ces conditions, les erreurs conceptuelles que fait Onfray ? Peut-être oui, au moins pour que le net garde des traces de cette affaire scandaleuse (comment Grasset a pu publier une chose pareille ?).
Dans l'esprit d'Onfray, le croyant est un imbécile parce qu'il croît de manière volontaire, par choix intellectuel, par volonté d'adhérer à une superstition. Le reste du raisonnement découle de ce contresens terrifiant expliqué par l'article Qu'est-ce que la foi ?. La foi, rappelons-le à ce preacher des temps modernes, est un sentiment qui, comme l'amour, ne rentre pas dans les cases de la raison. Pascal l'avait dit il y a bien longtemps, mais il semble que cela soit toujours un « scoop » pour certains « philosophes ». Il n'y a donc pas d'antinomie entre foi et raison.
Onfray suppose aussi qu'un athée peut comprendre les livres saints. Or, même en théologie, l'histoire de l'ésotérisme nous indique que la compréhension des livres saints est loin d'être facile. On sait, depuis des siècles, que l'athée et le croyant ne lisent pas de la même façon les livres saints, le premier les lisant de manière littérale (plus intellectuelle), le second de manière plus symbolique (plus affective et plus dirigée vers lui-même).
Les théologiens ont pour fonction de fournir au croyant une lecture exotérique des textes saints, ce qui signifie qu'ils expliquent les versets aux croyants en fonction de leur grande culture religieuse et historique. On a souvent confondu lecture littérale et lecture exotérique, alors que ces deux lectures sont très souvent distinctes. La lecture littérale est celle de l'athée, tandis que la lecture exotérique est celle du théologien. Ainsi, certains versets controversés du Coran sont-ils l'objet d'explications exotériques précises.
Certains mystiques sont même allés jusqu'à dire qu'on trouvait un sens différent à chaque lecture suivant le palier spirituel sur lequel on se trouvait. L'athée est au palier zéro. Le croyant sincère est au premier palier, au palier exotérique. Pour Ibn Arabi, le Coran comporte sept lectures qui sont autant de paliers spirituels, à séparer de la lecture littérale, encore différente de la lecture exotérique.
Onfray oublie ces points majeurs et, en ce sens, il désinforme de la manière la plus éhontée. De plus, il est incohérent car il est le premier à critiquer les interprétations hâtives de son maître Nietzsche, interprétations de lecteurs qui lisent soi-disant de manière « trop littérale ». Peut-il affirmer qu'il ne faille pas étudier pour comprendre Kant ? Pourquoi lui, l'athée extrémiste, pourrait comprendre la Bible ou le Coran sans faire aucun effort, sans s'y intéresser, en méprisant a priori le message du texte saint ? Il y a désinformation manifeste dans cette critique primaire des religions, tout cela dans le but commercial de vendre un message hédonisto-maoïste.
La vérité sur Onfray
Nous approchons de la conclusion sur ce livre navrant. Est-il seulement possible de lire le Traité d'Onfray au degré où il l'écrit, tant ce livre est empli de poncifs inacceptables, d'amalgames répugnants, de haine peureuse déguisée en raison et d'apologie du totalitarisme ? Onfray est-il un gourou maoïste ou un opportuniste «hédoniste» ?
Le cas Onfray est un cas, somme toute, banal : un philosophe très intelligent qui, à l'instar de son maître Nietzsche, a écrasé son cœur sous le poids d'une intelligence furieuse, vengeresse et destructrice. Il se peut qu'il jouisse de son corps (et encore on peut se le demander), il se peut qu'il jouisse de sa pensée haineuse, mais il serait très étonnant qu'il jouisse de son cœur.
Onfray projette ses névroses sur le monde, fait d'êtres abrutis et aliénés ; il voue un culte à ses deux idoles, Nietzsche et « la raison », raison que son esprit a pervertie en un générateur de haine, en une volonté de révisionnisme - tout comme son maître.
A l'instar d'un Nietzsche[8], il pense que sa lucidité est exceptionnelle et que son destin est de nous sauver de nos aliénations, dans l'éradication complète de toute référence au religieux, dans la recherche systématique de destruction de passé. Il ne comprend pas que sa haine l'aveugle et lui fait troquer un culte contre un autre, des anciens rites contre des nouveaux rites. Il ne comprend pas que le message des livres saints est une chose, et le discours religieux en est une autre ; comme sa lecture de Nietzsche est une chose et le texte de ce dernier une autre.
Etant donné qu'il n'explique jamais pourquoi attaquer les livres saints, qu'il ne démontre jamais le lien structurel entre religion et crimes, entre foi et névrose, qu'il ne fait qu'affirmer sans jamais démontrer, qu'il ne fait que recycler des idées intolérantes sans les argumenter, on pourra voir en Onfray un comportement psychotique, comme dans Nietzsche.
Onfray a bâti une théorie de l'hédonisme pour rechercher une valorisation personnelle que son enfance ne lui a probablement pas donnée, comme Nietzsche. Même « Onfray l'hédoniste » est faux. Ses livres sont une façon de se rendre important, de lutter contre un complexe d'infériorité, de bâtir, comme son maître à penser, des théories globales au lieu de se contenter de vivre. Car Onfray, dans son malheur, ne sait pas vivre car il ne sait pas ressentir : il ne sait qu'intellectualiser. Au point que même le mot « hédoniste » est perverti par l'emploi qu'il en fait.
Michel Onfray n'est pas un être enviable. Il est complexé, et doit alterner phases de prétentions et phases de doutes extrêmes. Dans ses phases négatives, il en veut à la terre entière comme jadis, lorsqu'il quitta l'Education Nationale.
Il a créé une nouvelle Education Nationale qui est l'Université Populaire en référence au Maoïsme. L'« ennemi » Education nationale est donc terrassé. Il s'attaque naturellement à l'« ennemi société judéo-chrétienne », à l'« ennemi islam », à l'« ennemi philosophie » avec sa Contre-histoire. Le monde d'Onfray est peuplé d'ennemis...
Dans ses phases positives, il se gargarise d'un hédonisme intellectuel, en rêvant de le vivre comme les anciens, « pour de vrai », en dehors des livres et des conférences. Que dire de cette peur de son corps qui va se dégrader avec l'âge et qui lui rendra un certain hédonisme sexuel inaccessible ?
Onfray est un genre de maniaco-dépressif de et dans la philosophie - tout comme Nietzsche.
Jamais il ne soigna cette petite névrose d'enfance, cette absence de reconnaissance qui se pervertit au fil du temps en mégalomanie délirante. Aujourd'hui, il projette. La contre histoire de la philosophie est le fruit de cette projection : il voit de l'hédonisme partout. Un jour, peut-être se présentera-t-il aux élections pour vendre sa société totalitaire néo-maoïste.
Hier la philosophie classique était inepte à ses yeux, aujourd'hui la religion est un tissu de bêtises, demain, autre chose sera la cible de sa rancœur et de sa haine de lui-même. La pulsion de mort qu'il voit dans le christianisme est encore une projection : elle n'est que sienne. Onfray projette encore et encore son pathos, n'étant jamais sorti de son adolescence[9].
Michel Onfray, en étant « contre philosophe », est un symbole de l'« anti-vie ».
Un succès sur la pente descendante
Nous devrions nous interroger sur le succès de cet homme et sur le fait que le Traité ait « agressé » ou « dérangé » une bonne partie de son lectorat d'avant. Les défenseurs les plus fervents d'Onfray sont désormais les militants de l'athéisme libertaire intégriste, eux-mêmes en perte de repères. Pour le reste, interrogeons-nous sur notre capacité à publier les pamphlets intolérants et haineux de psychotiques.
Il n'est pas certain qu'Onfray n'ait pas commis, là, la grosse bêtise de sa carrière, ni même qu'il ne parvienne jamais à accepter que ce livre ait été une énorme bêtise, bien qu'il ait aussi été un gros succès de librairie.
Décrédibilisé auprès de ceux qui auraient bien voulu d'un philosophe tolérant, prônant un « hédonisme judéo-chrétien » pacifique, auprès de ses admirateurs de toujours, il rallie désormais des suffrages qui lorgnent vers un extrémisme plus dangereux. Les intellectuels le trouvent un peu limite, ce qui se comprend, et son aura en a pris un grand coup depuis l'édition mal à propos de ce tissu de bêtises.
Il est possible qu'un jour, on ne parle plus de Michel Onfray. Mais en attendant que ce monsieur étanche sa haine, j'ai bien peur que son venin ne se répande dans les esprits qu'il s'est donné pour mission de sortir de leur aliénation. C'est pour ceux qui doutent qu'il m'a semblé important d'écrire cet article, car le personnage ne vaut guère que l'on s'intéresse à ses livres navrants.