Histoire XLI

Un article de Caverne des 1001 nuits.

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Il avait accepté toutes les conditions. Le gros homme le regardait de son œil vitreux, soupirant comme un crapaud bouffi. Il alluma une cigarette. La fumée tournoyait autour de sa tête à l'instar d'un cyclone indécis.

— C'est d'accord ? demanda le gros homme.

— Oui.

Il reçut comme prévu une montre dont le cadran était bloqué sur un nombre fixe d'heures. Il fallait des explorateurs. Il fallait des fous. Des hommes comme lui, à la fois l'un et l'autre. " Lutter contre les éléments et contre soi-même ". Il y croyait.

Le gros homme le raccompagna en coassant vulgairement, puis au seuil de la porte, lui serra la main d'une poigne molle et moite.

On le ramena à son hôtel où tout fut fait pour le satisfaire comme le précisaient les termes du contrat signé de son sang. Dès le lendemain, l'homme annoncé arriva à l'heure convenue et l'entraînement commença. Physique et mental. Pendant de longues heures, il s'agissait de déambuler dans des couloirs ou de marcher dans les rues, rapidement et régulièrement. Il courait aussi quelques heures dans la journée. Le centre des principes qu'on lui inculquait était de parvenir à une habitude des efforts de longue durée. Le temps restant était utilisé pour mémoriser des géométries complexes, retrouver des trajets effectués des semaines auparavant, utiliser des jeux stimulant la reconstruction d'espaces complexes à trois dimensions. La littérature abondait sur le sujet. Des études comparatives des géométries localement présentes à tel ou tel endroit du labyrinthe tentaient d'extrapoler les règles entrevues à des parties macroscopiques du schéma de base. Il passa en revue les théories les plus diverses de construction de labyrinthes complexes dans lesquels l'encombrement stérique jouait un grand rôle dans la limite de la complexité. En effet, une bonne vision en trois dimensions pouvait, grâce à certains indices, faire découvrir le degré de complexité choisi par le créateur, de sorte que le prisonnier considérait les choix du point de vue du bâtisseur et non plus selon la logique de celui qui cherche à sortir par tous les moyens. Il fallait s'imprégner de la logique du lieu et de la vision de l'homme qui s'y cachait. Chaque construction avait ses propres hypothèses sur le joueur ; c'était en les découvrant que le nombre de chances de sortir était le plus élevé. Les sens attribués aux labyrinthe dépendaient des sources : on y voyait tour à tour l'incarnation de démons, des dragons des légendes, la quintessence du problème ontologique, l'ennemi le plus dangereux de l'esprit car il éloignait du ou des dieux ou au contraire le chemin nécessaire pour s'élever au rang de sage, l'initiation obligatoire. Des siècles avaient écrit sur ce lieu générique qui semblait parfois ne plus tenir que du concept. Des modèles mathématiques, stériles, d'une complexité affligeante ou simples comme le problème des deux fils, avaient été édifiés sur ces labyrinthes. Mais, au lieu de les éclairer, ils semblaient les noyer encore un peu plus dans les conceptions labyrinthiques des esprits torturés des concepteurs qui loin de gagner en clarté, semblaient vouloir obtenir des propriétés génériques sur des structures trop empruntes de logique humaine. La vision scientifique du labyrinthe était plus étouffante encore que les icônes religieuses et leur petit goût poétique ou païen. Dans les livres ouverts, amoncelés sur une grande table noire, il contemplait, le regard trouble, les courbes sans fin, reflet des fantasmes les plus fous des réducteurs de monde avides de systèmes.

Le temps passait. Celui-ci lui était compté. Les mois s'enchaînaient, rapprochant l'échéance, le jour du départ, le jour de naissance. Ce jour-là, l'esprit réceptif aux moindres indices cachés, il s'attellerait à la plus grande tâche de sa vie : trouver la sortie.

Ce labyrinthe, il le rêvait jour et nuit ; il y vivait sans arrêt, réinventant à chaque seconde la sortie, l'entrée, le déroulement, comme une histoire qui se raconte depuis une autre histoire, elle-même issue d'une perspective infinie d'histoires imbriquées. La fin. La fin de l'une, mais pas la fin de toutes.

Quelques semaines avant le départ, il dut interrompre l'entraînement pour faire le point. Le but était de ne pas basculer dans la folie qui guettait au travers de cette constante claustrophobie présente par anticipation. Le gros homme accorda cette pause comme un " bain d'eau froide nécessaire ". Au terme de cette période, l'accès aux livres lui fut interdit. Il avait fini la partie théorique de sa formation. Il en fut donc réduit à se dépenser physiquement dans un état d'esprit constamment en train de tenter de devancer le temps, de volonté de savoir {avant} comment tout allait se dérouler. L'enfer habitait son crâne en feu si bien qu'il entrevoyait le départ comme une libération.

Il était entré finalement, un jour comme les autres. Cette date tant attendue était là, au présent. Mais le présent n'avait pas de goût. Il était fuyant. La porte franchie, le compte à rebours commença, décrémentant d'une voix tonitruante les secondes de sa vie.

Son esprit s'était divisé instantanément en trois plans. Le premier était géométrique ; les parois du labyrinthe s'enchaînaient comme des briques élémentaires qui semblaient dire à tout instant " tu es déjà passé par ici ". Le second tonnait au rythme des secondes écoulées, jouant sur les cordes vibrantes de l'âme du condamné voyant sa dernière heure se rapprocher dans une incontrôlable précipitation. Le troisième plan était l'image de la sortie, projeté sur chaque tournant ou fin de couloir, comme si son esprit, à force d'imaginer la fin devant lui, pouvait réussir à la créer.

Il luttait désespérément pour analyser la structure mouvante de ce labyrinthe qu'il ne comprenait pas, sans pouvoir déterminer si les théories étudiées étaient fausses ou si le labyrinthe était un piège, une exception, la création d'un être atteint de folie. Pourtant, malgré la pression folle qui s'exerçait sur lui, il était soulagé par le fait d'agir enfin, de marcher dans ce lieu tant attendu, d'exercer cette viande neurale sur un problème concret. Il lui fallait tout donner pour y parvenir.

Alors que le temps passait, il tenta de ne pas s'affoler même s'il avait le sentiment d'être perdu.

Le gros homme soupira, calé dans son fauteuil. Il fallait que lui aussi s'en sorte. Comme tout le monde. Le compteur s'emplit de zéros. L'écran lui montre le candidat tomber, agoniser puis mourir les yeux ouverts sur le désespoir d'avoir compris. Il tire sur sa cigarette, émet un coassement désagréable. Est-ce sa faute s'il n'y a jamais eu de sortie ?



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