L'obsession française de l'islam
Un article de Caverne des 1001 nuits.
Sommaire |
Introduction
Force est de constater que la France est devenue obsédée de l'islam. Que ce soit à gauche ou à droite, les discours anti-islamiques se sont généralisés dans le mépris le plus profond des vérités fondamentales de l'islam de France et de l'islam en général.
Nous allons, dans cet article, tenter de donner des pistes sur le pourquoi d'une telle obsession.
Du racisme à l'anti-islam, un transfert réussi
Le déclencheur du changement
L'islam, en tant que tel, n'est devenu un problème de société en France que depuis les attentats de 1995 en France puis ceux du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis. Auparavant, les campagnes partisanes du type "Touche pas à mon pote" visaient le racisme (quand ils ne le suscitaient pas) mais pas l'islam. Les médias français, postérieurement au 11 septembre et en phase avec les médias américains, ont préparé les opinions publiques à la "vengeance légitime contre le terrorisme" et ont préparé les interventions militaires en Afghanistan et en Irak.
A partir de ce moment, un glissement a eu lieu dans la rhétorique raciste anti-arabe. Cette dernière s'est transformée en une position contre l'islam, position beaucoup plus politiquement correcte que la position raciste classique, objectivement indéfendable au grand jour.
Un glissement sémantique qui plaît à gauche comme à droite
S'il est raciste de "ne pas aimer" les arabes, il n'est pas raciste de ne pas aimer l'islam. L'islam est donc devenu le bouc émissaire facile car il est issu d'un transfert xénophobe très classique, transfert de la peur de l'autre vers la peur de la religion de l'autre. Le premier mouvement est interdit ou au moins réputé mauvais ; le second, lui, est parfaitement "acceptable", qui plus est dans une rhétorique des droits de l'homme (vus par les intellectuels français).
Le raisonnement devient vite caricatural et fait appel à l'assimilation : islam = burqa = esclavage des femmes = terrorisme. Ce raisonnement permet une posture intellectuelle : "nous, intellectuels républicains universalistes, nous sommes contre l'islam". L'islam est donc devenu le moyen pour les intellectuels d'accepter une xénophobie en la maquillant en défense des droits de l'homme.
Bien entendu, pour que le combat demeure "vivant", il est nécessaire que l'ennemi soit vivant mais qu'il ne puisse pas s'exprimer. Tariq Ramadan est l'un des intellectuels victime de ce grand cirque médiatique : on interdit ses conférences en France mais on continue à le critiquer par contumace sans pour autant lui donner de droit de réponse[1]. Or, dans le pays des débats, même si l'on est pas d'accord avec lui, la démocratie voudrait qu'on l'écoute. Il en va de même avec les responsables des associations musulmanes. Force est de constater qu'ils ne sont souvent pas les plus charismatiques ou les communicants les plus à l'aise pour faire la lumière sur ce qui est vrai et ce qui est faux dans la représentation de l'islam en France[2].
Les intellectuels "engagés", nous le savons, ont besoin d'un ennemi vivant pour exister, car ils n'existent le plus souvent que dans la division. Cet ennemi leur sert à montrer à quel point ils sont "combatifs" et "engagés" et leur permet de projeter leurs propres fantasmes.
L'islam ravive de vieilles obsessions anticléricales françaises
La névrose collective originelle française
Derrière tout déchaînement anormal de passions, il est nécessaire de chercher une origine. La France n'étant pas a priori un pays très raciste (ceux qui n'en sont pas convaincus pourront aller aux Etats-Unis pour s'en rendre compte), la passion anti-islam va beaucoup plus loin dans sa persistance et dans sa violence que le simple transfert xénophobe ne pourrait l'expliquer.
Nous devons pour expliquer ce phénomène revenir quelques siècles en arrière. L'inconscient collectif français s'est bâti sur la révolution sanglante de 1789.
Il en est résulté des névroses collectives d'une force très importante (et dont des articles de ce site traitent). Les zones conscientes de ces névroses embellissent la Révolution, lui donnant un air de libération politique, de liberté, de droits de l'homme, de libération du joug de la religion, un accent universaliste[3]. La violence et la division sont passées sont silence, oubliées, refoulées, tout comme est refoulé l'Empire qui succède à cette révolution en proposant un autre paradigme.
L'ennemi intérieur : l'Eglise Romaine
Depuis lors et jusqu'à la fin du XXème siècle, l'ennemi intérieur de la France a été l'Eglise Romaine. Quand d'autres pays faisaient une fixation sur les juifs, la France faisait une fixation sur la destruction de l'Eglise Romaine en France. La lecture des documents d'époque montre à quel point l'Eglise catholique est devenue en quelques temps la cible de toutes les attaques les plus violentes (au sens propre). Déjà la cible privilégiée des révolutionnaires, elle devient l'ennemi de tous les intellectuels qui vont chercher à détruire par tous les moyens toutes ses dimensions : ses dogmes, sa spiritualité, ses possessions, ses ordres, son influence dans la vie des gens.
Nous ne chercherons pas à justifier ou à critiquer cette posture des intellectuels de l'époque, mais force est de constater que les fondations de l'Etat français sont établies dans un combat très violent contre l'Eglise.
Le fait est qu'au vingtième siècle, l'anticléricalisme semble avoir "abattu" l'ennemi intérieur : les nouvelles générations sont athées par défaut, l'école est très largement athée militante, les liens entre l'Eglise et l'Etat ont quasiment disparus, les églises sont vides (certaines d'ailleurs ont été récupérées par les mairies à des fins non religieuses), les bâtiments religieux sont devenus des "monuments historiques" (preuve de leur inscription dans le passé) et les catholiques, presque opprimés, se sont faits discrets à force d'être conspués. Les théories philosophiques les plus matérialistes peuvent donc se développer sans ennemi[4].
De la laïcité à l'athéisme, nouveau glissement sémantique
A la fin du XXème siècle, on ne traite pas de l'athéisme en tant que tel, mais de la laïcité. Nous sommes toujours dans cette confusion française universaliste : si nous défendons l'athéisme, nous ne pouvons pas être universalistes ; donc nous défendons la laïcité, principe d'un Etat n'ayant pas de lien avec les autorités religieuses. Dans les faits, derrière le mot "laïcité", les intellectuels défendent l'athéisme comme religion d'Etat.
Ce glissement a certaines conséquences comme une interprétation très partiale de la loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat de 1905. Par exemple, les manifestations religieuses de groupe sont parfaitement autorisées par la loi[5], mais elles sont critiquées par les tenants de l'athéisme qui voudraient que la la religion soit invisible et qu'elle reste dans le strict cadre privé ou dans le cadre des réunions dans les bâtiments du culte réservés à cet effet.
Historiquement, cette séparation est objectivement très importante pour l'Etat français et elle déchaîne les passions. Il est possible d'y voir la deuxième étape de la construction d'un état séculier, le premier étant l'abolition de la royauté, le second étant la rupture des liens privilégiés avec l'Eglise de Rome. Cette étape est majeure dans la division des responsabilités entre Etat français et organisations religieuses.
C'est cette même loi de 1905 qui permet de réglementer l'exercice des cultes sur le territoire français et qui est un atout pour l'arrivée des autres religions. Une fois encore, la sagesse du Législateur peut être constatée, même si cette sagesse est librement interprétée par les défenseurs de l'athéisme qui assimilent pas de lien entre l'Etat et les religions avec pas de religion du tout.
L'émergence de l'islam en terre athée
L'islam de France a longtemps été déstructuré, divisé, sans porte-parole reconnu. Longtemps en dehors des préoccupations de l'opinion publique, l'islam s'était fait discret en France. La première raison est que la construction de mosquées est restée longtemps un problème local sans aura médiatique nationale, la plupart des lieux de culte musulmans étant des salles confidentielles sans signe distinctif extérieur. La seconde raison est celle du racisme qui a placé des générations d'immigrés en provenance des pays du Maghreb dans la position de travailleurs dociles et sans revendications.
Les attentats de 1995 puis ceux du 11 septembre, organisés au nom d'un islam qui n'a d'islam que le nom, ont restauré, en France, le sentiment antireligieux qui a contribué à attaquer systématiquement et pendant des siècles l'Eglise Romaine.
Alors que les intellectuels athées pensaient avoir terrassé l'ennemi religieux en France, ce dernier réapparaît sous la forme de l'islam, une religion bien vivante mais beaucoup moins structurée que l'Eglise de Rome. En effet, les différents courants religieux qui composent l'islam sont plus complexes, plus variés, plus effrayants et plus opaques dans le fait que leur langue est l'arabe. L'"ennemi" est donc plus diffus, moins facile à désigner que le Pape. De plus, certains courants se réclamant de l'islam, les Talibans par exemple, sont manifestement des fous dangereux. Certains pays islamiques eux-mêmes sont des dictatures qui, ayant pris un prétexte religieux, enchaînent leur peuple dans des règles peu compréhensibles des occidentaux.
Une peur de bouleversement des fondamentaux de l'Etat et de l'identité français
Le cocktail de la peur
La peur de l'autre et de l'inconnu, la xénophobie latente, la projection des principes universalistes fantasmés français sur des régimes à connotation religieuse, le fait de raviver dans l'inconscient collectif le vieil anticléricalisme, toutes ces dimensions produisent un cocktail qui fait sentir à ces intellectuels un danger imminent en relation avec la destruction des fondamentaux de l'Etat français.
Certains de ces intellectuels croient vraiment à cette menace, tandis que d'autres l'instrumentalisent. Que ce soit à gauche comme à droite, l'obsession de l'islam vient et revient. C'est la loi contre le voile, c'est le débat sur les piscines, puis sur la viande hallal, puis la loi sur la burka, puis le débat sur l'"identité nationale".
Car pour toute une frange d'intellectuels, le fondement de l'Etat d'une part et de l'identité française (sous-entendu "laïque") sont menacés par l'islam.
L'Etat en péril
Pour comprendre cette peur de l'Etat en péril, il faut revenir à la confusion que font les intellectuels entre laïcité et athéisme.
Au sens propre, l'islam, tout comme l'hindouisme (qui sera la prochaine religion à être attaquée), ne menace pas l'Etat. Le cadre de la loi de 1905 est suffisamment large et précis pour accommoder toutes les religions.
Mais dans l'esprit des intellectuels, l'Etat laïque est un état athée. Les concepts religieux sont donc pour eux grotesques, tout comme l'est la morale qui s'y attache et qui permet de juger chacun selon ses actions dans le cadre d'un loi divine, révélée dans le cas de l'islam. Quand l'islam arrive donc avec sa façon de voir le monde, les athées y voient une menace de restaurer des vieux débats qui, au travers de l'éviction de l'Eglise, semblaient fermés à jamais. C'est très ennuyeux que quelqu'un vienne vous chercher des noises sur le terrain de la morale alors que tout risque semblait écarté.
Pire que cela, l'islam peut avoir un œil critique sur les lois et les pratiques hypocrites de la société française, ce qui est intolérable. Cela l'était déjà du temps des luttes du catholicisme contre les théories philosophiques en vogue au XIXème siècle[6].
En définitive, pour les intellectuels actuels, tous ces combats ont déjà été menés et l'émergence de l'islam ne fait que réouvrir les combats du passé, combats qui ont assis une certaine frange de la philosophie française (profondément athée).
Reposer ces questions aujourd'hui, alors même que l'islam de France ne les pose pas, est une atteinte à l'équilibre de l'Etat, une atteinte à l'ordre public. Avant même que ces débats ne se posent, il faut stigmatiser ceux qui pourraient les poser et empêcher la société de rester "moderne".
Le point de la modernité est très intéressant car, là aussi, si l'on regarde un siècle et demi en arrière en France, nous avons les mêmes "modernistes" en face des religieux, sauf que ces derniers sont catholiques et non pas musulmans.
L'identité française en péril
L'identité française est en péril dans la mesure où, d'un coup, le fait de découvrir que des musulmans existent en France nous ramène 150 ans en arrière, avec la recherche d'une identité française qui ne serait pas liée au christianisme.
Mieux vaut prévenir que guérir : lançons donc un débat sur l'identité française, alors même que les français de confession musulmane ne demandent rien. De fait, ce débat visait à établir une "identité républicaine laïque", ce qui est un contresens manifeste au rôle de l'Etat. Au sein d'un Etat, les personnes doivent respecter les règles (la loi, les droits et les devoirs), mais ce respect des règles ne fait pas d'eux des personnes ayant endossé une "identité commune" (pour peu que ce terme ait un sens).
Ce nouveau glissement sémantique
Références
- ↑ Cf. Quand le gouvernement français censure
- ↑ On notera que, pendant cette campagne présidentielle, la distinction a été faite entre "islam de France" et "islam en France", comme si les deux notions devaient être séparées et la première était forcément meilleure que la seconde. Prenons le catholicisme : une telle distinction est-elle de mise ?
- ↑ Cf. L'obsession névrotique française de l'universalité.
- ↑ Reste le combat de quelques intellectuels qui, pour nous montrer qu'ils sont vraiment sérieux, continuent à faire montre d'un anticléricalisme de posture.
- ↑ Texte de la loi de 1905.
- ↑ Cf. le premier Concile du Vatican et le Syllabus, répertoire des "erreurs modernes" établi par le pape Pie IX en annexe de son encyclique Quanta Cura.
[Catégorie:Draft][Catégorie:2012]