Les erreurs de raisonnements

Un article de Caverne des 1001 nuits.

Sommaire

[modifier] Introduction

Cet article vise à inventorier un certain nombre de raisonnements courants qui, s'ils ont l'apparence de la justesse et de la logique, sont intrinsèquement faux et conduisent aux conclusions les plus erronées. Nous tenterons de donner une première cartographie de ces patterns.

De plus, nous illustrerons ces raisonnements dans des exemples précis et tenteront de déconstruire et de classifier les éléments qui conduisent à des raisonnements faux. Enfin, nous donnerons des pistes sur certaines conséquences de ces erreurs de raisonnements afin de prendre du recul par rapport à un certain nombre d'informations que nous recevons quotidiennement, informations qui véhiculent la plupart de ces patterns.

[modifier] Proposition de modélisation du raisonnement

[modifier] Introduction

L'analyse des raisonnements humains, de leur véracité et de leur fausseté, a toujours occupé l'humanité. Aujourd'hui encore, de nombreuses branches des sciences, de la psychologie et de la philosophie continuent de s'y intéresser de manière active.

Nous prendrons, dans cet article, l'hypothèse que l'on peut licitement étudier de manière séparée la partie conceptuelle qui sous-tend le raisonnement et le raisonnement lui-même. Cette hypothèse est discutable dans la mesure où l'activité de conceptualisation est aussi un des modes de fonctionnement dynamique du raisonnement[1]. Cependant, nous tenterons de prendre d'une part l'approche conceptuelle et de l'autre l'approche du raisonnement par inférence logique comme deux dimensions du problème que nous nous proposons d'étudier. Nous pourrions nommer cette approche l'axiome de séparation.

[modifier] Structuration du monde des concepts

[modifier] Classification

Nous classifierons les concepts du raisonnement en trois parties. Cette classification est, elle aussi, arbitraire et peut être vue comme une définition axiomatique. En ce sens, elle peut être discutée, critiquée et affinée. L'objectif de cette première classification est de produire un certains nombres de résultats tangibles rapidement.

Les trois types de concepts auxquels nous nous intéresserons sont :

[modifier] Formalisation générale

Soient :

  • un concept C,
  • deux personnes A et B.

Nous noterons :

  • CA la définition du concept C pour A ;
  • CB la définition du concept C pour B.

Lorsque A et B ont la même définition conceptuelle de C, nous noterons :

  • CA = CB = CA, B = C, cette dernière notation sous-entendant que nous travaillons dans le référentiel {A, B} où la définition de C n'est pas ambiguë.

En ce sens, nous posons :

  • RA, B le référentiel des concepts dont la définition est partagée entre A et B.

Dans RA, B, on peut se passer des indices relatifs aux personnes.

[modifier] Cas du concept affectif

Soient :

  • A et B, deux personnes ;
  • C = "chaise" ;
  • on peut souvent écrire C sans ambiguïté, car CA = CB = CA, B = C et C ∈ RA, B.

Pourquoi seulement « souvent » ? Parce que, dans certains cas, CA peut être associé à un événement traumatique de A (comme celui de tomber fréquemment de sa chaise et de se faire mal par exemple), auquel cas la sémantique de C vue de A n'est pas la même que la sémantique de C vue de B. Dans ce cas, nous avons :

  • CA ≠ CB.

Nous pourrions aller plus loin en considérant un ensemble I de personnes tel que :

  • B ∈ I
  • et ∀ x ∈ I, CB = Cx = C.

On pourrait noter, dans ce contexte :

  • CA ≠ C.

A a donc une vision très personnelle du concept C, non partagée par les membres de I.

Nous nommerons ce cas particulier un cas de concept « affectif ». Le cas du concept soulève un problème de notation car A sait ce qu'est une chaise ; le symbole ≠ est donc insuffisant. A envisage le concept comme les autres membres de I mais avec une connotation spéciale. Il serait ainsi plus juste de noter :

  • ∀ x ∈ I, Cx = C.
  • CA = C + FA(C), FA(C) étant le facteur affectif de A par rapport au concept C.

A noter que selon la charge du facteur affectif F, le concept C peut être totalement dénaturé. Dans le cas de la chaise, si A a eu des problèmes passagers quant à sa chaise on pourrait écrire :

  • FA(C) << C (avec le symbole "<<" signifiant "très inférieur à")
  • donc CA ≈ C.

Si A a une phobie des chaises, on notera :

  • C << FA(C) et CA ≠ C;
  • car C ≈ FA(C).

[modifier] Ambiguïté d'une notation inspirée des mathématiques

Nous sommes face à une certaine ambiguïté de la notation héritée des mathématiques.

En effet, le concept de C1 = "chaise" et C2 = "chien" n'ont rien à voir entre eux. Ce sont des concepts que l'on peut ramener à des éléments discrets d'un espace. Or, dans le cas du concept affectif, on aurait envie d'écrire, en empruntant une notation venue de l'analyse :

  • soit FA(C) = o(C), pour noter que FA(C) << C,
  • soit FA(C) = O(C), pour noter que FA(C) >> C.

Or les symboles "+", "<<", "o" ou "O" ne sont pas définis a priori dans l'espace des concepts. On effet, nous manipulons ici des éléments de nature hétérogène : le concept pouvant être entrevu comme un élément de nature intellectuelle et l'affect perturbant la définition du concept.

Si nous nous inspirons des travaux de Jung quant aux types psychologiques, nous pouvons penser à modéliser d'une autre façon en utilisant deux « dimensions » : l'une intellectuelle, relative aux concepts, et l'autre affective, relative aux affects.

[modifier] Notation bi-dimensionnelle

Soit C, l'espace des concepts « purs », et F l'espace des affects « purs ». Nous postulerons que tout concept C possède des composantes dans les deux espaces, soit dans l'espace produit P = C x F des « concepts affectifs » qui se présentent à nous.

Si nous reprenons l'exemple précédent, nous pouvons écrire :

  • CA = {x, y} sur l'espace P,
  • CB = {x', y'}.

Dans le cas où A et B partagent la même vision intellectuelle de C, et que B n'a pas d'affect par rapport au concept C = "chaise", on a :

  • x = x',
  • y' = 0;

Nous obtenons la figure 1.

Figure 1 : première tentative de représentation bi-dimensionnelle
Figure 1 : première tentative de représentation bi-dimensionnelle


.

Notons que cette notation est relative aux individus et au contexte.

Prenons un exemple :

  • C = "chaise".

On peut écrire Def(C) dans la plupart des cas, hormis si pour une personne

A l'inverse, nous noterons Def la fonction de définir correctement un concept :

  • soit parce que sa définition est traditionnellement claire pour tout le monde,
  • soit parce que le dit concept a été clarifié lors de son usage (notamment au niveau de la précision sémantique et de la dé-affectisation du concept si besoin est).

Soit C un concept. Nous dirons que les erreurs conceptuelles entrent principalement dans deux grandes familles :

  • pattern conceptuel numéro 1 : l'usage de concepts creux qui induit la manipulation de concepts trop vagues pour être parfaitement utilisables dans une inférence ; nous noterons Cc ;
  • pattern conceptuel numéro 2 : : l'usage de concepts affectifs qui induit une connotation affective des concepts relativement aux individus qui les utilisent ; nous noterons Ca.


De plus, nous noterons (pour fausse égalité) la fonction d'assimilation illicite de concepts. Nous noterons cet opérateur comme un signe égal (=) et verrons qu'il se « propage » dans le raisonnement.

[modifier] La dimension inférence

Trois dynamiques sont liées au monde des concepts, dynamiques qui définissent une certaine partie de l'inférence raisonnante :

  • pattern d'inférence numéro 1 (Gen*) : la généralisation abusive d'un groupe de phénomènes à un concept ou d'un groupe de concepts à un autre concept plus abstrait ;
  • pattern d'inférence numéro 2 (Spe*) : la spécialisation abusive qui prend un concept très abstrait et en déduit son application sur des phénomènes ou d'autres concepts sans preuve.

A l'inverse, les actes suivants seront notés respectivement :

  • généralisation (conceptualisation) valide : Gen,
  • spécialisation valide : Spe.

[modifier] Exemples

[modifier] Exemple de la sociologue de Paris XIII

A l'automne 2004, sur une radio publique, une sociologue enseignant à Paris XIII illustrait le pattern PC1 en usant d'une raisonnement visant à démontrer l'approche « tout est dans tout », « tout est lié à tout ». Ceci peut être vu comme un exemple archétypal de concept creux.

L'analyse du discours, centré autour du concept d'"individu", montre une approche polymorphe du concept exposé. Le concept d'"individu" était donc présenté, au sein du discours, tour à tour comme :

  • un individu psychologique vu de l'extérieur,
  • un individu vu par lui-même,
  • un individu social dans la mesure où ce dernier est vu comme obéissant à la loi,
  • un individu vu par les textes de la sociologie (selon les différents courants).

Il ne s'agit là que de l'introduction scientifique actuelle d'un sujet dont on voit qu'il recouvre diverses sémantiques et divers champs d'étude. Il n'y a pas là d'erreur de raisonnement. Nous noterons cette action si le raisonnement est une suite d'étapes notée R :

  • R1 : C1 = Def("étude individu").
  • R2 : Spe(C1) = {C2 = Def("aspect psychologique de l'individu"), C3 = Def("aspect philosophique de l'individu"), C4 = Def("aspect social de l'individu"), C5 = Def("aspect sociologique de l'individu"), ...}.

La deuxième étape du raisonnement visait à introduire une vision sexuelle de l'"individu". Cette vision est présentée comme une nouvelle composante au champ d'étude de l'individu. Nous avons là une action sémantiquement multiple : une liaison naturelle entre individu et sexualité, soit entre Def("individu") et Def("sexualité"), mais pas entre Def("étude individu") et Def("sexualité"), car cette liaison est encore très discutée aujourd'hui. Nous noterons donc les étapes suivantes du raisonnement comme :

  • R2 : C6 = Def("individu"), C1 ◊ C6.

Or l'auteur s'appuie sur le fait que :

  • Spe(C6) = {C7 = Def("sexualité"), ...}

ce qui peut être considéré comme licite. En revanche, dans le cadre de l'assimilation abusive faite en R3, on obtient abusivement :

  • R4 : Spe*(C1) = {C2, C3, C4, C5, C7 = "sexualité", ...}.

Nous avons emprunté une "branche" illicite du raisonnement.

La personne expose alors un schéma de pensée post-féministe qui brasse les représentations suivantes :

  • « les hommes et leurs fantasmes sexuels »,
  • les erreurs des féministes,
  • « une société dans laquelle les individus sont vus comme des membres sexués » (sic).

Nous sentons une implication personnelle affective dans ce débat, montrant l'utilisation d'une conceptualisation affective du sujet. Nous obtenons en récrivant R4 :

  • R4 : Spe*(C1) = {C2, C3, C4, C5, Ca7 = "sexualité", ...}.

Le raisonnement est donc clair : pour étudier C1, il est nécessaire d'étudier Ca7 comme une spécialisation nécessaire, d'où une impossibilité d'étudier C1, car Ca7 est trop "polémique". La personne, à l'issue d'un raisonnement qui a "débranché" l'inférence normale, peut justifier son sentiment d'être dépassée.

Cet exemple est archétypal d'un raisonnement qui ne parvient pas à dissocier les problèmes et qui rend la résolution d'un problème dépendante d'un schéma global dans lequel les liens sont contestables, car affectisés.