Cinquante-deuxième nuit

Un article de Caverne des 1001 nuits.

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Quelque temps avant le jour, Dinarzade, éveillée, appela la sultane :

Ma chère sœur, lui dit-elle, si vous ne dormez pas, je vous supplie d’achever l’histoire du second calender.

Scheherazade prit aussitôt la parole et poursuivit ainsi son conte :

Le calender, parlant toujours à Zobéide, lui dit :

« Madame, le sultan laissa la princesse Dame de beauté achever le récit de son combat, et quand elle l’eut fini, il lui dit d’un ton qui mar-quait la vive douleur dont il était pénétré :

« Ma fille, vous voyez en quel état est votre père. Hélas ! je m’étonne que je sois encore en vie ! L’eunuque votre gouverneur est mort, et le prince que vous venez de délivrer de son enchantement a perdu un œil. »

Il n’en put dire davantage, car les larmes, les soupirs et les sanglots lui coupèrent la parole. Nous fûmes extrêmement touchés de son affliction, sa fille et moi, et nous pleurâmes avec lui.

« Pendant que nous nous affligions comme à l’envi l’un de l’autre, la Princesse se mit à crier :

« Je brûle ! je brûle ! »

Elle sentit que le feu qui la consumait s’était enfin emparé de tout son corps, et elle ne cessa de crier : « Je brûle ! » que la mort n’eût mis fin à ses douleurs insupportables. L’effet de ce feu fut si extraordinaire qu’en peu de moments elle fut réduite toute en cendres, comme le génie.

« Je ne vous dirai pas, madame, jusqu’à quel point je fus touché d’un spectacle si funeste. J’aurais mieux aimé être toute ma vie singe ou chien que de voir ma bienfaitrice périr si misérablement. De son côté, le sultan, affligé au delà de tout ce qu’on peut s’imaginer, poussa des cris pitoyables en se donnant de grands coups à la tête et sur la poitrine, jusqu’à ce que, succombant à son désespoir, il s’évanouit, et me fit craindre pour sa vie.

« Cependant les eunuques et les officiers accoururent aux cris du sultan, qu’ils n’eurent pas peu de peine à faire revenir de sa faiblesse. Ce prince et moi n’eûmes pas besoin de leur faire un long récit de cette aventure pour les persuader de la douleur que nous en avions : les deux monceaux de cendres en quoi la princesse et le génie avaient été réduits la leur firent assez concevoir. Comme le sultan pouvait à peine se soutenir, il fut obligé de s’appuyer sur eux pour gagner son appartement.

« Dès que le bruit d’un événement si tragique se fut répandu dans le palais et dans la ville, tout le monde plaignit le malheur de la princesse Dame de beauté et prit part à l’affliction du sultan. On mena grand deuil durant sept jours ; on fit beaucoup de cérémonies ; on jeta au vent les cendres du génie ; on recueillit celles de la princesse dans un vase précieux, pour y être conservées, et ce vase fut déposé dans un superbe mausolée que l’on bâtit au même endroit où les cendres avaient été recueillies.

« Le chagrin que conçut le sultan de la perte de sa fille lui causa une maladie qui l’obligea de garder le lit un mois entier. Il n’avait pas encore entièrement recouvré sa santé, qu’il me fit appeler :

« Prince, me dit-il, écoutez l’ordre que j’ai à vous donner : il y va de votre vie si vous ne l’exécutez. »

Je l’assurai que j’obéirais exactement. Après quoi, reprenant la parole :

« J’avais toujours vécu, poursuivit-il, dans une parfaite félicité, et jamais aucun accident ne l’avait traversée ; votre arrivée a fait évanouir le bonheur dont je jouissais : ma fille est morte, son gouverneur n’est plus, et ce n’est que par un miracle que je suis en vie. Vous êtes donc la cause de tous ces malheurs, dont il n’est pas possible que je puisse me consoler. C’est pourquoi retirez-vous en paix, mais retirez-vous incessamment ; je périrais moi-même si vous demeuriez ici davantage, car je suis persuadé que votre présence porte malheur : c’est tout ce que j’avais à vous dire. Partez, et prenez garde de paraître jamais dans mes états : aucune considération ne m’empêcherait de vous en faire repentir. »

Je voulus parler ; mais il me ferma la bouche par des paroles remplies de colère, et je fus obligé de m’éloigner de son palais.

« Rebuté, chassé, abandonné de tout le monde, et ne sachant ce que je deviendrais, avant que de sortir de la ville j’entrai dans un bain, je me fis raser la barbe et les sourcils, et pris l’habit de calender. Je me mis en chemin en pleurant moins ma misère que la mort des belles princesses que j’avais causée. Je traversai plusieurs pays sans me faire connaître ; enfin je résolus de venir à Bagdad, dans l’espérance de me faire présenter au commandeur des croyants et d’exciter sa compassion par le récit d’une histoire si étrange. J’y suis arrivé ce soir, et la première personne que j’ai rencontrée en arrivant, c’est le calender notre frère qui vient de parler avant moi. Vous savez le reste, madame, et pourquoi j’ai l’honneur de me trouver dans votre hôtel. »

Quand le second calender eut achevé son histoire, Zobéide, à qui il avait adressé la parole, lui dit :

« Voilà qui est bien ; allez, retirez-vous où il vous plaira, je vous en donne la permission. »

Mais, au lieu de sortir, il supplia aussi la dame de lui faire la même grâce qu’au premier calender, auprès de qui il alla prendre place...

Mais, sire, dit Scheherazade en achevant ces derniers mots, il est jour, et il ne m’est pas permis de continuer. J’ose assurer néanmoins que quelque agréable que soit l’histoire du second calender, celle du troisième n’est pas moins belle : que votre majesté se consulte ; qu’elle voie si elle veut avoir la patience de l’entendre.

Le sultan, curieux de savoir si elle était aussi merveilleuse que la dernière, se leva résolu de prolonger encore la vie de Scheherazade, quoique le délai qu’il avait accordé fût fini depuis plusieurs jours.


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