Aphorismes XI, de la philosophie

Un article de Caverne des 1001 nuits.

(Différences entre les versions)

Version du 18 avril 2008 à 10:56

Quand on a compris que les philosophes étaient des individus à l'expérience limitée et qu'ils avaient la prétention de parler au nom de l'humanité toute entière, on comprend que leur discours ne touche que peu de gens.


Les philosophes lisent souvent les livres de philosophie de leurs aînés avec un grand soin, probablement pour se donner une caution au travers de la filiation à des grands noms du passé ; dès qu'ils veulent détruire quelque chose, ils adoptent soudain une lecture au premier degré, peut-être pour être entendu ou adulé par des imbéciles.


La lecture des livres saints par les philosophes est très amusante : c'est une lecture froide, au premier degré, exempte de spiritualité et dans laquelle toute allégorie est bannie. La conclusion de cette lecture est le reflet même des hypothèses de la lecture, cela sous couvert de raisonnement intellectuel.


Les philosophes placent l'intellect et la représentation au pinacle. Mais ils placent encore plus haut, la foi que seul l'intellect peut nous faire appréhender le monde, ce qui est inexact. Leur problème se situe souvent dans le fait qu'ils ne semblent pas conscients de ce second postulat, pour la bonne et simple raison, qu'en purs êtres intellectuels, ils ne puissent imaginer que d'autres aient une manière différente d'appréhender le monde.


Le dieu des philosophes est l'intellect. Que peut-on trouver de plus dans une œuvre philosophique qu'une émanation de l'intellect ?


La philosophie ressemble souvent à de l'eau : plus on prend dans les mains, plus elle s'écoule sans que nous puissions l'attraper.


Jung a bien identifié pourquoi la psychanalyse avait tué la philosophie : parce que plus aucun philosophe sincère ne peut plus se défendre de projeter ses interrogations personnelles (et donc non représentatives) sur le monde en prétendant parler au nom de l'humanité.


Le concept d'humanité, vu par la philosophie, est la plupart du temps un concept creux.


La philosophie est un métier ; le mysticisme, un état.


La démarche commune du philosophe est de penser un problème en oubliant les cas particuliers. Or ce sont ces derniers qui font la complexité du problème. En négligeant le complexe, on en arrive à un modèle simple, mais souvent faux.


Le philosophe systémique est une caricature de philosophe dans la mesure où il pense pouvoir contenir les règles exhaustives du monde dans le système que son intellect a construit.


Tout philosophe systémique se prend pour Dieu.


La philosophie a toujours gardé une ambiguïté depuis sa naissance où elle se sépara de la théologie : la confusion de la religion et de la question de Dieu. La religion est vue, depuis lors, en philosophie comme une organisation sociale exploitant la crédulité des gens. Cette vision est peu courte dans la mesure où elle ne peut expliquer les conversions et les illuminations, elle ne couvre pas le mysticisme, elle néglige la fonction spirituelle de certains rites et le besoin minimum d'organisation dans certaines congrégations religieuses. Cette vision de la religion est issue de la prétention du philosophe à l'universalité du propos. Cet axiome d'universalité s'exprime de la façon suivante : tous les hommes sont, au mieux, intellectuellement identiques au philosophe qui écrit.


Toute doctrine intellectuelle, se prétendant « universelle », est un danger pour l'homme si elle n'implique pas que d'autres doctrines « universelles » aussi, mais contradictoires, coexistent. Parmi elles, les religions en tant que lectures institutionnelles des textes saints, la philosophie (sous-entendu occidentale donc la plupart du temps athée) et les systèmes politiques totalitaires (communisme, fascisme, etc.).


Rares sont les philosophes qui ont compris qu'il n'y avait pas de solution universelle à la question de Dieu, mais une réponse personnelle. Très rares sont ceux qui ont compris que le type de réponse personnelle à la question de Dieu étant souvent proche d'une personne à une autre, cette façon commune de ressentir pouvait rapprocher les croyants et donc justifier la naissance d'organisations religieuses. Quant au destin de ces organisations, il obéit aux lois humaines et est le reflet des hommes qui les composent.


Honte au philosophe qui lit les livres saints littéralement : non seulement, il fait preuve d'une malhonnêteté à toute épreuve, mais en plus il méprise les symboles qu'il ne comprend pas et prétend que les choses qu'il ne ressent pas n'existent pas. Honte au religieux qui lit les livres saints littéralement : non seulement il fait preuve d'une malhonnêteté à toute épreuve, mais en plus il use du pouvoir de ces textes à des fins politiques.


Le philosophe, sous couvert d'intellect, est souvent le plus inhumain et le plus injuste des juges. C'est aussi le moraliste qui recycle le plus de choses de l'inconscient collectif d'un pays.


Tout philosophe défend une morale personnelle dans laquelle il occupe une position à part.


Tout philosophe se prend pour un exemple et a plus foi en ses propres propos ou en les propos de ses pairs qu'en ceux de n'importe qui d'autre.


Toutes les tentatives d'inspiration directe de la politique par la philosophie ont été de terribles échecs. Car le philosophe parle de lui et non des autres hommes (qui souvent d'ailleurs ne l'intéressent pas). Les solutions qu'il préconise répondent à des problèmes que la plupart des hommes ne se posent pas, ou pas de cette façon, et auxquels la plupart des hommes ne répondraient pas de cette façon. En un sens, les états « philosophiquement inspirés » se sont avérés beaucoup plus catastrophiques que les états « religieusement inspirés », la religion parlant des hommes, le philosophe de lui-même.


Qu'est-ce que le philosophe peut nous apprendre sur la vie ? Peut-être peut-il uniquement nous apprendre des choses sur sa vie et ses choix, et encore, à la lecture de la vie de certains philosophes, il est permis d'en douter.


La mauvaise foi est un trait de la philosophie parfois si commun, qu'il en devient inconscient. Car on sait bien, dès lors qu'on philosophaille, qu'il est possible de démontrer tout et son contraire tant les concepts sont flous.


Sartre nous disait qu'il n'y avait pas d'inconscient mais une « mauvaise foi ». Bel aveu de son approche du monde !


A l'école, on a remplacé l'enseignement religieux par l'enseignement philosophique : le Dieu catholique par le Dieu athée ?


Très peu de philosophes ont compris que spiritualité et intellect pouvaient faire bon ménage. C'est bien mal connaître les enseignements des soufis.


Il ne faut pas confondre expérience spirituelle et théologie, confusion générale en philosophie occidentale.


Le philosophe est comme l'artiste : tous deux se positionnent d'emblée sur les piédestaux depuis lesquels le bas peuple se doit de les vénérer.


Les lectures au premier degré des philosophes cachent toujours quelque chose de bas : vengeance, revanche, animosité, haine, volonté de pouvoir, autosatisfaction, etc. Bel exemple d'humanité.


Les philosophes étant intellectuellement élitistes, ils ont souvent une notion de la politique assez extrémiste. Si la démocratie est pour eux un « plat tiède », remercions Dieu qu'ils ne soient pas au pouvoir.


Le philosophe occidental est le pur produit d'un système occidental qui ne connaît que lui-même et qui a appris, structurellement, à refouler ses sentiments et à se fermer à la différence des autres.


Il ne faut pas confondre représentation scientifique du monde et vérité.


Pour un philosophe, « résoudre » un problème est une victoire. Mais qui peut-il convaincre à part lui-même et ses admirateurs ? Car sa « résolution » n'est jamais que la sienne ; et encore faut-il croire comme lui que le dit "problème" existât.


Quelqu'un peut-il vraiment aimer la personne d'un philosophe ? Certes, beaucoup peuvent l'admirer. Mais on ne peut aimer un intellect. La condition de philosophe est, peut-être, un exemple de misère humaine.


On ne combat pas un philosophe, on combat ses idées. Mais ce processus est très encadré afin d'éviter les dérives. Dès lors qu'une idée acceptée par l'establishment en vient à être critiquée par un apprenti philosophe, on ressort la barrière de la lecture exhaustive des œuvres.



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