Progrès et soumission
Un article de Caverne des 1001 nuits.
Ami, toi qui es épris de liberté, écoute ces paroles.
Les hommes se sont toujours affrontés, s'affrontent et s'affronteront toujours à l'aide de doctrines, de «théories». Toutes ces doctrines sont humaines, dans le sens où elles sont crées par des hommes qui ont des intentions, bonnes ou mauvaises pour les autres et souvent bonnes pour eux-mêmes. On trouve ainsi de grandes variations dans les doctrines, et il se peut qu'il y ait autant de doctrines qu'il n'y a de créatures, si ce n'est plus.
La religion n'est pas à la base une doctrine. Certains hommes, néanmoins, pour faire comprendre la religion aux créatures n'ont pas hésité à en faire des doctrines. Comme tous les créateurs de doctrines, ces derniers avaient des intentions, bonnes ou mauvaises pour les autres et souvent bonnes pour eux-mêmes.
La grande différence entre les doctrines humaines et la religion est que les premières sont relatives et la seconde est absolue. Ainsi, le monothéisme est pure relation personnelle entre l'homme et Dieu. Ce que les «créateurs de doctrines humaines» nomment «doctrine religieuse» est l'ensemble des rites et des textes qui permettent d'établir cette relation directe entre l'homme et Dieu.
Certaines religions ont, au cours du temps, dérivé en doctrines, et les «créateurs de doctrines humaines» en ont profité pour dire que toutes les religions étaient des doctrines humaines. Cela leur permettait de dénigrer la religion, de se venger des ministres de cette religion qui avaient parfois pris un certain pouvoir, et de mettre sur le même plan leur doctrine personnelle et la doctrine religieuse. Les religieux qui ont laissé cette assimilation se faire ont eu tort ; mais peut-être eux-mêmes n'avaient-ils pas compris que la religion n'était pas seulement une doctrine.
Encore plus fautifs sont ceux qui ont décrété que la relation entre Dieu et l'homme n'était pas du ressort de l'homme lui-même, mais d'un ministre du culte. Honte sur eux ! Chaque homme est responsable de ses actes devant Dieu ; il est donc indispensable qu'il puisse entretenir sa relation avec Dieu, personnellement.
Dieu est l'anti «arbitraire humain», Il est l'anti-doctrine. Il est la seule direction qu'un cœur doive prendre, car il est l'Amour. Il est la seule direction qu'un intellect doive prendre car il est derrière toute pensée, toute discipline, tout résultat tangible. Il est Celui qui Est, « plus proche de toi que ta veine jugulaire ». Et il est dans la poitrine de nombreuses personnes qui ne savent pas si elles «croient», tant ce terme a perdu de son sens avec les âges.
Une doctrine humaine qui a sous-tendu beaucoup d'autres doctrines humaines récentes est la croyance dans le «progrès de l'homme maîtrisé par des hommes». Cette croyance est une superstition qui prétend qu'« il existe une ou plusieurs doctrines humaines pour que l'homme devienne meilleur collectivement ». On trouve cette croyance derrière la philosophie occidentale, le communisme, le fascisme, le nazisme, le New Age, etc.
La notion de « progrès de l'homme » est une création du Shaytan, car elle divise les hommes en hiérarchies. La plupart du temps, on trouvera dans ces doctrines deux catégories de créatures : celles qui dirigent le « progrès collectif » et celles qui doivent se soumettre aux premières. Cette notion est à l'opposé de la vision monothéiste qui ne fait pas de hiérarchie entre les hommes. Tout le monde est égal devant Dieu.
Spirituellement, cette superstition a séparé l'Orient de l'Occident et divisé l'homme potentiellement complet en deux parties. L'intellect y a gagné en considération mais, comme le cœur y a perdu, l'intelligence de l'homme a globalement diminué.
«Toute chose est un pont vers le Réel», disait Rûmî. L'idée de «progrès humain» est aussi un pont vers le Réel, vers la Vérité, vers Dieu : car il est vrai que l'homme peut se parfaire, mais non collectivement, en tous cas pas sous la coupe d'une idéologie maîtrisée par d'autres hommes. Il le peut personnellement dans son chemin vers Dieu. Collectivement, les créatures devraient déjà respecter les lois exotériques de la religion, ce qu'elles font plus ou moins selon les temps et les lieux.
Le mensonge de la doctrine du « progrès humain » est intrinsèquement que certains hommes prétendent savoir comment améliorer collectivement les autres hommes, sans s'améliorer eux-mêmes. Quelle simplicité dans le mensonge, quelle flagrante erreur, quel stupéfiant et si simple illogisme, quel fil conducteur de l'époque moderne, de ses théories et de ses dérives ! Et quel beau reflet de l'homme dans toute son imperfection, quelle leçon pour celui qui voit !
Le nihilisme ou le matérialisme (qui est aussi une forme de nihilisme) sont aussi des «ponts vers le Réel» : ils sont l'écho respectivement d'un vrai désespoir et d'une abdication devant l'équivalence formelle de toutes les doctrines humaines et devant le fait que toutes ces doctrines réclament l'adoubement d'humains à d'autres humains.
La philosophie (purement intellectuelle) occidentale est un échec pour les mêmes raisons : elle ne cesse de penser sur les variantes des pensées des hommes qui l'ont créée ; par conséquent, elle ne cesse de brasser des représentations relatives des choses, construites par des individus qui ne sont souvent pas exemplaires. Là encore, pour exister, il faut s'adouber à d'autres hommes, il faut entrer dans une lignée. Qu'y a-t-il de plus idolâtre, et de plus navrant, qu'un philosophe passant sa vie à commenter les autres philosophes ?
Il n'y a, en effet, formellement, pas de sens à chercher la vérité dans les écrits de quelqu'un. On peut chercher dans les écrits de quelqu'un, au mieux, de bonnes questions à se poser ou des méthodes pour se construire soi-même. Mais dans les deux cas, le travail est à faire en soi, dans la tête peut-être mais surtout dans le cœur. Car penser sans son cœur, ce n'est pas penser. Les livres saints et les livres des saints sont d'un autre genre car ils parlent avec le cœur au cœur, ce qui explique que beaucoup ne les comprennent pas ou les comprennent de travers.
Dans le cas où l'on trouverait des « solutions » (ce qui signifierait déjà qu'il y ait un « problème » et que nous l'aurions bien identifié), ces solutions n'auraient aucune raison a priori de s'appliquer aux autres, en raison de leur nature différente de la nôtre. Si nous prétentions le contraire, nous nous placerions dans l'hypothèse implicite que le monde est à notre image, ce qui est faux.
C'est pourquoi la seule leçon qui se puisse donner est d'appeler les hommes à entrer dans leur chemin personnel vers Dieu. Car, il est nécessaire d'être soumis à Dieu : car la soumission à Dieu libère de la soumission aux autres hommes ; Dieu est le Libérateur.
Dieu a fait l'homme pour qu'il ne s'adoube pas aux autres hommes mais aux règles divines. Chaque doctrine humaine demande l'adoubement à des hommes, vivants ou morts, hommes devenus l'objet du culte d'autres hommes, hommes devenus des idoles.
C haque homme devrait chercher à se découvrir et à s'accepter tel qu'il est, pour son bien. Il pourrait ainsi trouver le meilleur moyen d'être utile à ceux qu'il aime et à ses semblables d'une manière générale. Pour cela, il peut rentrer dans la voie de l'Absolu, chemin dans lequel tant d'hommes saints et de prophètes ont laissé des traces et des signes.
Pour le mouride engagé dans cette voie, l'immense et prétentieux intellect esclave de l'ego barre la route vers Dieu. Cet ego peut être dompté au cours de la jihad.
Dans ce combat contre soi-même, le maître spirituel ne prétend pas améliorer tous les hommes, mais aider quelques hommes volontaires à aller vers Dieu, chacun à leur façon. Sur le chemin, le mouride verra que chaque homme lui ressemble et que pourtant ils sont tous différents de lui. Beaucoup de « problèmes » humains et relatifs disparaîtront d'eux-mêmes et ne seront plus des problèmes.
Car les choses sont. Et le mouride est. Et il est en dehors du fait qu'« il pense ».
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